Daniel Borel, passionné par le changement lié aux technologies

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Entré à l’Ecole polytechnique de l'Université de Lausanne (EPUL) en 1968, Daniel Borel sort de l’EPFL en 1973 avec un diplôme de physicien. Cofondateur de Logitech, un des fleurons de l’industrie suisse, le Neuchâtelois qui a vécu de par le monde n’en reste pas moins proche de la Suisse et de l’EPFL en particulier. Lors de la Magistrale, notre « célèbre » alumni a lancé officiellement les festivités du 50e anniversaire de l’Ecole fédérale.


L’EPFL fête ses 50 ans en 2019. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Nous avons été parmi les premiers à suivre des cours sur le campus de Dorigny à une époque où il n’y avait que des champs et le bâtiment de l’ancien Collège propédeutique, dans lequel nous avions des cours de mathématiques. Cinquante ans, c’est beaucoup, non ? (rires) J’ai vu notre école grandir, se diversifier, devenir internationale et jouer aujourd’hui dans la cour des grands. Sentiment de fierté sans nul doute !

Vous êtes resté très lié avec l’EPFL, que ce soit avec Logitech ou par le biais des fondations que vous avez créées. Une dette ? Un coup de cœur ?

J’ai été marqué par mon année de Master à l’Université de Stanford en Californie. En effet, aux Etats-Unis il existe une forte identité avec l’université dans laquelle vous avez étudié. Il est ainsi fréquent pour ceux qui ont eu la chance de réussir de partager financièrement cette réussite avec leur « université ».

J’ai obtenu en 1976 une bourse du Fonds national suisse pour la recherche scientifique, qui a ainsi financé mon année d’études à Stanford. Logitech a elle aussi bénéficié à ses débuts des recherches faites à l’EPFL par le professeur Nicoud et son équipe. C’est ainsi un moyen de rendre un peu ce que l’on m’a donné.

Avoir un diplôme fédéral vous a-t-il aidé pour poursuivre vos études aux Etats-Unis ?

A l’époque oui, surtout grâce à la renommée de l’EPF de Zurich qui avait déjà eu des Prix Nobel. Ceci dit, l’admission se fait sur la base des résultats académiques, des tests GRE/GMAT et des recommandations.

Pourquoi la relation entre industrie et monde académique est-elle essentielle ?

Quand j’ai commencé mes études en Suisse, à l’opposé de mon expérience californienne, il y avait un certain fossé entre le côté « industrie » et le côté « académique ». L’approche américaine, beaucoup plus pragmatique, a permis à des Hewlett-Packard de créer leur entreprise sur le campus de Stanford. De même Larry Page et Serguey Brin ont fait leurs études et recherches à Stanford, ce qui les a conduits à créer Google. Aujourd’hui, cette différence de point de vue s’est banalisée et les universités ont souvent leur propre incubateur ou même abritent un parc technologique.

D’où la présence de Logitech à l’EPFL Innovation Park. Qu’est-ce qu'il s’y fait ?

Précisément. Aujourd’hui, le lien entre les deux mondes s’est développé et il joue un rôle essentiel. L’industrie profite d’un niveau de recherche qu’elle ne pourrait pas toujours atteindre par elle-même. Parallèlement elle offre des emplois intéressants aux personnes bien formées. C’est donnant-donnant. Outre la recherche appliquée, plus de 200 étudiants ont déjà pu effectuer leur projet de Master ou un stage d’été chez Logitech. Une partie de notre succès est dû à la possibilité d’attirer les meilleurs étudiants de l’EPFL, de l’ETHZ et des HES grâce à des projets d’avant-garde, avec, dans certains cas, la possibilité de leur offrir un transfert dans nos bureaux californiens.

Vous plaidez aussi pour l’excellence de la formation. Pourquoi ?

En fin de compte, c'est le niveau de formation qui différencie un pays d’un autre. Lorsqu’une société veut s’implanter dans un pays, elle commence par regarder le niveau de formation des ressources humaines. La Suisse étant un pays plutôt cher, il est important de créer des emplois à haute valeur ajoutée, ne serait-ce que pour justifier notre excellent niveau de vie. Pour être concurrentielle, la formation à tous les niveaux, de l’apprentissage au doctorat, doit être une priorité.

L’EPFL joue-t-elle bien son rôle ?

Oui, l’EPFL offre une formation pluridisciplinaire de qualité. Elle a aussi l’avantage de sa relative petite taille, permettant ainsi à des sciences différentes et complémentaires (robotique, informatique, science le de la vie, nanotechnologie…) d’interagir les unes avec les autres. La Suisse peut jouer un rôle important dans les domaines qui sont à l’intersection des technologies. Même une souris d’ordinateur est un ensemble complexe de logiciel, de firmware, de microtechnique, d’optique, d’électronique, de science des matériaux et de robotique. L’EPFL forme des ingénieurs qui sont polyvalents, ce qui n’existe pas forcément dans les grandes universités américaines.

L’EPFL s’est aussi positionnée en leader européen dans le domaine des MOOCS et a innové à travers son programme récent de l’Extension School sous la direction du professeur Marcel Salathé.

En manquant d’ingénieurs, la Suisse est-elle en mauvaise position ?

J’ai récemment lu que l’une des premières préoccupations des Suisses de 16 à 25 ans est de savoir combien ils toucheront de l’AVS à leur retraite… Je veux croire à une mauvaise blague ! Inquiétant cependant de voir que trop peu de jeunes Suisses sont attirés par les sciences et la technologie, qui semblent leur faire peur ! Et pourtant, bien souvent ce sont les développements technologiques qui font avancer le monde. L’ingénieur crée les nouveaux produits qui sont à la base du renouvellement industriel de demain. Sans produits novateurs, ultimement, il n’y a pas d’industrie nouvelle, pas d’emplois à valeur ajoutée non plus.

Le succès de la Silicon Valley est avant tout lié à sa capacité d’avoir su former et attirer les meilleurs ingénieurs du monde en leur donnant l’environnement stimulant et la liberté de penser différemment pour inventer le futur. Dans la Silicon Valley, l’ingénieur est « roi » et considéré comme tel. Pas vraiment le cas chez nous… Preuve en est cette hérésie qui fait qu’en Suisse les présidents des EPF, garants du futur de notre pays, gagnent moins de la moitié que les dirigeants de La Poste ou des CFF !?

Le problème est-il politique ?

Berne n’est certainement pas techno educated, sinon on le saurait ! Ainsi, le budget des EPF semble plus être vu comme une dépense à limiter qu’un investissement essentiel pour le futur de notre belle Suisse.

Les incubateurs à start-ups sont-ils un bon moyen de faire émerger la technologie ?

C’est la passion et rien d’autre qui est à la base de toute start-up. Les incubateurs sont un moyen d’aider et de donner un cadre. Reste que c’est l’entrepreneur qui fait la différence.

Comment favoriser l’innovation ?

L’innovation, on ne la gère pas. Thinking out of the box ou, comme dirait Steve Jobs : “Think different.” La Sony PlayStation ne relève pas d’un plan stratégique, mais de quelques ingénieurs dans l’arrière-boutique. Combien de grandes innovations sont nées dans un garage, grâce à des gens visionnaires qui ont une passion et qui trouvent leur voie !

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants d’aujourd’hui ?

Prenez le large. Il faut raser les montagnes pour voir la mer. A la place du service militaire, il faudrait offrir aux jeunes un an à l’étranger. Pour faire partie du monde, il faut le connaître et le vivre de l’intérieur. Un message aussi vrai pour nos politiciens.

Cherchez-vous une passion ou trouvez quelqu’un qui en a une. Comme l’a dit Jean-Claude Biver, ce n’est qu’en ayant une passion que l’on évite d’avoir un job. Pas vraiment en ligne avec le souci du montant de la pension que les jeunes auront à leur retraite.

Soyez persévérant, rien n’arrive facilement (there is no such a thing as a free lunch) ! Et si vous avez la chance, rappelez-vous que le succès n’est jamais acquis.

Logitech a dû braver des tempêtes. Quelles sont les clés du succès ?

Oui, en 37 ans Logitech a bravé plus d’une tempête. Effectivement, le succès n’est jamais acquis. Mais comme l’a dit Winston Churchill : « Never ever give up. » Apple Computer était proche de la faillite en 1996 quand Steve Jobs a été rappelé après avoir été licencié en 1985… La réussite est souvent le résultat d’un mélange de passion, de chance et surtout de ténacité. La réussite n’est jamais une ligne droite. Il y a les succès, les échecs, les licenciements, les engagements… jamais simple, mais toujours passionnant !

Anticipez, n’attendez pas... Quand, en 1988, nous avons réalisé qu’à Taïwan il y avait d’excellents ingénieurs chez nos concurrents, j’y ai créé une base de développement qui coûtait trois fois moins cher. Aux ingénieurs suisses qui restaient j’ai dit : « C’est à vous de réinventer votre avenir, sinon vos jobs ne survivront pas. » Créatifs, ils ont ainsi développé les technologies optiques et sans fil, qui ont fait notre succès pendant de nombreuses années.

Point clé : n’oubliez jamais que the most important intangible asset on the balance sheet, ce sont les collaborateurs. Success is all about people, people, people.

La Fondation Defitech finance deux chaires à l’EPFL. Son objectif : mettre la technologie au service des personnes en situation de handicap. Pourquoi cette thématique vous tient-elle à cœur ?

Logitech a souvent été sollicitée par des personnes handicapées pour trouver des moyens de les aider dans leur connectivité avec le monde extérieur et leur mobilité. Au quotidien, Logitech n’avait pas de ressources pour répondre à ces demandes. Le moment venu, ma femme et moi avons voulu apporter notre contribution grâce à la technologie. Entre autres, Defitech a soutenu les recherches du professeur José del R. Milan sur les interfaces cerveau-machine. Defitech s’est associée aussi à un projet EPFL-SUVA au travers de la Chaire en neuroingéniérie clinique du professeur Friedhelm Hummel.

Qu’est-ce qui vous fascine dans les nouvelles technologies ?

La technologie a souvent été le moteur qui a changé la face du monde. En 1977, après mes études, j’ai été fasciné par le monde de la Silicon Valley où professeurs, assistants, étudiants, comme à l’époque de la ruée vers l’or, passaient leurs journées et leurs nuits à chercher la pépite technologique qui leur permettrait de participer à la révolution industrielle à venir, basée sur l’invention des semi-conducteurs et du microprocesseur.

En bons Européens, mon ami d’études à Stanford Pierluigi Zappacosta et moi-même n’étions pas certains de savoir comment joindre le mouvement de cette vallée bouillonnante, mais nous voulions à tout prix en faire partie, et vivre pleinement cette révolution numérique que nous pressentions. Notre passion nous a donné la force et la chance de trouver notre place dans cette aventure, bien que petits et sans venture capital pour nous soutenir. Aujourd’hui, rien n’a changé, et c’est passionnant de voir que le monde de la science et de la technologie crée toujours de nouvelles opportunités. Google, qui a été créé dans les mêmes petits bureaux que Logitech, au 165 Universtiy Avenue à Palo Alto, n’a que 20 ans, et moi j’ai l’impression d’être un dinosaure…

Qu’est-ce qui est en train d’émerger, à votre avis ?

L’intelligence artificielle est toujours plus présente et le besoin d’éthique plus que nécessaire. Le champ d’applications qui touchera notre quotidien devient toujours plus large. L’ordinateur quantique ouvrira des possibilités nouvelles, l’impossible deviendra possible. La seule constante restera le changement, rendu possible par les technologies nouvelles accompagnées d’une bonne dose de bon sens et d’éthique.

BIO

1968

Entrée à L’EPUL/EPFL, section physique

1968

Invention de la souris informatique par Douglas Engelbart (The mother of all demos)

1977

Master in Computer Science à Stanford University

1981

Création de Logitech

1988

IPO de Logitech sur le marché boursier suisse

2018

Logitech sur le point de passer le cap des 2 milliards de souris vendues