Contre les radicaux libres, la stratégie radicale de la mouche

Drosophila Diptera (iStock photos)

Drosophila Diptera (iStock photos)

Pour déjouer le stress oxydatif, la drosophile évacue les graisses de son sang. Ce mécanisme surprenant montre que l’évolution n’est pas en manque de ressources face à un problème universel du vivant.

Les êtres vivants font tous face au stress oxydatif. Un processus suspecté de favoriser de nombreuses maladies chez l’humain, du cancer à Alzheimer en passant par le diabète. Certains animaux ont développé des parades surprenantes et radicales. Des chercheurs de l’EPFL ont constaté qu’en cas d’urgence, la mouche drosophile évacue dans les excréments ses lipides sanguins, qui amplifient les dommages du stress oxydatif. La découverte est publiée dans Immunity.

La mouche comme l’humain produit des molécules dites “réactifs oxygénés” – notamment les fameux radicaux libres. Le grand public les connait surtout pour leur toxicité cellulaire, mais ils sont également utiles, par exemple pour alerter le système immunitaire en cas d’infection ou réparer des tissus lésés.

Idéalement, la toxicité des réactifs oxygénés est neutralisée par certaines défenses des cellules, ainsi que par les antioxydants comme les vitamines C et E. Mais parfois, cet équilibre est rompu : pathogènes, consommation de tabac ou ultraviolets accélèrent la production des radicaux oxygénés. Passé un certain seuil, les défenses naturelles sont débordées.

Des drosophiles qui tombent comme des mouches

C’est un peu par hasard que l’équipe de Bruno Lemaitre a découvert, chez la mouche drosophile, une nouvelle forme défense contre les réactifs oxygénés. Dans son laboratoire de l’EPFL, des insectes mutants mourraient quelques jours après l’exposition à un pathogène normalement bénin.

Après une première enquête, les scientifiques ont découvert un gène muté, qui privait les mouches d’une protéine produite dans les reins. Cette protéine a comme propriété de se lier aux lipides.

“Pour rire, et comme le stress faisait facilement tomber ces mouches, on a baptisé le gène muté et la protéine du nom de Materazzi, le footballeur italien tombé à terre en finale de coupe du monde après le coup de boule du français Zidane”, raconte Bruno Lemaitre.

Un mécanisme inconnu

A ce moment, les scientifiques n’ont pas encore fait le rapprochement entre la mort des insectes, leur mutation génétique et le stress oxydatif. “Cette découverte était plutôt déconcertante. Comment l’absence d’une protéine qui se lie aux lipides, dans les reins, pouvait-elle faire mourir les insectes stressés par un pathogène?”, explique Bruno Lemaitre.

L’explication réside dans un mécanisme secondaire du stress oxydatif: les radicaux libres s’attaquent à certains lipides dans le sang, ce qui entraîne la production de composés toxiques et d’encore plus de réactifs oxygénés. Ce dangereux cercle vicieux, appelé peroxydation des lipides, doit être contrôlé à tout prix.

Pour éviter que la machine s’emballe, les drosophiles suppriment simplement un élément de l’équation: les lipides. Le processus se déroule ainsi: certains stress stimulent la production de la protéine Materazzi dans les reins de l’insecte, où elle se lie aux lipides sanguins et les évacue vers les fèces.

“Comme on le voit avec nos mutants, pour un insecte stressé ce mécanisme est une question de vie ou de mort”, commente Xiaoxue Li, premier auteur et chercheur au laboratoire de Bruno Lemaitre.

Selon les scientifiques, il est probable que cette défense soit très importante chez d’autres insectes, et peut-être même présente chez d’autres animaux. Des études précédentes avaient déjà identifié une protéine similaire à Materazzi, en tant qu’allergène présent dans les crottes de cafards.

“Comme on le voit dans notre étude, la maîtrise les dommages du stress oxydatif, c’est un problème universel du vivant. Dès lors, on ne s’étonnera pas que cela devienne aussi un important sujet de préoccupation en termes de santé publique”, conclut Bruno Lemaitre.

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Références

Xiaoxue Li, Samuel Rommelaere, Shu Kondo, Bruno Lemaitre. Renal purge of hemolymphatic lipids prevents the accumulation of ROS-induced inflammatory oxidized lipids and protects Drosophila from tissue damage. Immunity 18 February 2020. DOI: 10.1016/j.immuni.2020.01.008


Auteur: Lionel Pousaz

Source: EPFL