«Comprendre la science à l'œuvre derrière le résultat est essentiel»

Yujia Zhang © Adrian Alberola Campailla
Responsable du Laboratoire de Bio-iontronique (BION) de l’EPFL, Yujia Zhang explore la frontière entre biomédecine et «dropletronics», discipline qui étudie l’usage de gouttelettes utilisant des ions comme vecteurs de signaux avec les tissus biologiques.
“D’un côté, vous avez des appareils, tels que capteurs ou implants, basés sur les électrons, et de l’autre, un environnement aqueux où des cellules et des ions développent des interactions complexes. J’ai voulu comprendre ce qu’il peut se passer à leur jonction». Yujia Zhang dirige aujourd’hui le Laboratoire de Bio-iontronique (BION) de l’EPFL. C’est en tant que doctorant en ingénierie biomédicale à l’Académie chinoise des sciences de Shanghaï qu’il a été pour la première fois intrigué par l’idée de créer une interface entre systèmes électroniques et tissus vivants.
Né à Pékin, Yujia Zhang a toujours gardé un esprit ouvert dans son travail, n’hésitant jamais à explorer de nouveau domaines et à suivre sa curiosité scientifique. «Dans le cadre de mon bachelor, j’ai d’abord étudié l’astrophysique, mais il m’est vite apparu que les expériences pratiques me convenaient mieux que la théorie pure», décrit-il. Et finalement, c’est en électronique et science de l’information à l’Université chinoise des sciences et de la technologie qu’il obtient son diplôme.

Durant son travail de recherche postdoctoral à l’Université d’Oxford, il découvre l’iontronique, une discipline qui utilise un type d’atomes et molécules chargées appelées ions plutôt que les électrons en guise de vecteurs de signaux. Les conducteurs ioniques se présentent souvent sous une forme liquide ou de gel, les rendant plus compatibles avec les tissus biologiques que les appareils électroniques, basés sur des métaux solides.
Sous la direction du professeur de biologie chimique Hagan Bayley, le jeune scientifique définit son propre axe de recherche. Il se concentre alors sur le développement de systèmes iontroniques miniaturisés utilisant des gouttelettes microscopiques pour des applications biologiques. Yujia Zhang dit de son mentor qu’il l’a toujours encouragé à essayer de comprendre les bases fondamentales de la science qui se joue au cœur des observations pratiques. «Venant de l’ingénierie électrique, apprendre à questionner la science à l’œuvre en arrière-plan d’un résultat était déjà essentiel pour moi», commente-t-il.
Cette approche a permis à Yujia Zhang de développer tout un processus de fabrication d’appareils dropletroniques. Pour commencer, des gouttelettes d’hydrogel chargées positivement et négativement sont immergées dans une solution huileuse afin de recouvrir chacune d’elle d’une couche adipeuse et de pouvoir ensuite les combiner pour former des batteries, des transistors, des circuits logiques et des mémoires de stockage. Le mouvement des ions au sein de ces dispositifs, similaire à celui des électrons dans un semiconducteur, permet à l’information d’être transmise ou stockée.
Parler la même langue
L’iontronique, discipline désormais bien établie, n’est pas la seule à utiliser des gouttelettes - la microfluidique, par exemple, y a déjà recours. Mais Yujia Zhang est le premier à les utiliser et les réunir pour des applications de bio-interfaces thérapeutiques, connues sous le nom de bio-iontronique.
“La biologie parle la même langue que les ions et les petites molécules, illustre le chercheur. Ces gouttelettes peuvent donc servir de plateforme pour contrôler le mouvement des ions et des molécules chargées, afin de stimuler et d'enregistrer les signaux des tissus biologiques, comme le cerveau et le cœur, de manière plus efficace».
Avant de rejoindre l'EPFL, Yujia Zhang et ses collègues d'Oxford en ont déjà fait l’expérience, publiant notamment dans Science une recherche sur un dispositif à gouttelettes servant à enregistrer des signaux électriques provenant du battement de cellules cardiaques humaines. Ils ont également généré des courants ioniques à l'aide de batteries de gouttelettes stimulant les neurones dans des organoïdes cérébraux.
Dans les 10 à 20 prochaines années, ces systèmes deviendront certainement encore plus fonctionnels, plus intégrés et plus puissants.
Depuis son arrivée sur le campus lausannois, le scientifique est très occupé par la mise sur pied de son laboratoire, la constitution d’une équipe de recherche multidisciplinaire et l’instauration de collaborations au sein de l’Institut de bioingénierie et de la Faculté des sciences de la vie. Des activités qui s’ajoutent au fait de devoir s’adapter à une nouvelle langue et à la vie en Suisse. Le temps libre qu’il lui reste, Yujia Zhang le passe au centre de sports UNIL-EPFL, où il peut assouvir sa passion de la dynamophilie – une discipline de musculation axée sur la force athlétique, qu’il a pratiquée à titre semi-professionnel lorsqu'il vivait au Royaume-Uni.
A terme, Yujia Zhang compte utiliser des réseaux de gouttelettes imprimés en 3D pour créer des tissus synthétiques multifonctionnels, qui pourront être utilisés pour des implants souples, des biointerfaces et un large éventail de traitements médicaux, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle «ère iontronique» dans le domaine de la biomédecine.
«Au début de l’électronique, les prototypes de transistors mesuraient plusieurs dizaines de centimètres. Aujourd'hui, avec la dropletronique, nous avons atteint l'échelle microscopique. Dans les 10 à 20 prochaines années, ces systèmes deviendront certainement encore plus fonctionnels, plus intégrés et plus puissants.»