Comprendre ce qui est déjà là
Dans cette chronique, parue dans la presse romande, Paola Viganò, directrice du Centre Habitat de l’EPFL, et Valentin Bourdon, coordinateur, soulignent l’importance de connaître les intentions des architectes du passé pour adapter les constructions patrimoniales au contexte contemporain.
L’entrée à l’inventaire du bâtiment historique de l’EPFL nous rappelle plusieurs réalités, et responsabilités. En premier lieu que les architectures vieillissent, elle aussi. Peut-être plus vite que par le passé. Peut-être même plus vite que nos propres corps s’usent, désormais. On érigeait pour durer. On façonnait pour transcender. On construisait pour habiter. On investit désormais nos ressources pour maintenir l’habitabilité sur Terre.
Le classement en note 1 de la partie 1972 du campus lausannois nous dit aussi que ce qui dure devient patrimoine. C’est le cas de la Méridienne, son bâtiment original, d’un brutalisme architectural aux qualités précieuses, peu connues et appréciées. Cette énorme construction est plus qu’un bâtiment, c’est un paysage, d’espaces communs, de rues, de salles, de terrasses, de jardins et de passages. Un patrimoine à considérer dans les deux sens désormais : culturel et énergétique. Témoignage d’une époque architecturale et sociale, il est aujourd’hui reconnu au prisme de la raréfaction des ressources et à lire, ainsi, comme dépôt d’énergie grise, à réutiliser.
Durer n’est plus la seule priorité. D’adapter il s’agit désormais.
Durer n’est plus la seule priorité. D’adapter il s’agit désormais. De répondre à l’urgence du changement climatique, par l’évolution rapide des modes de vie et d’actions. L’impatience qui nous gagne autorise néanmoins à reconnaître, dans les temps longs qui précèdent notre impératif de changement, des valeurs oubliées, ignorées ou incomprises, encore forces de validités, de sens et de restitutions.
Un devoir de relecture
Porter un regard attentif, voire renouvelé sur ces objets du passé, ces visions mises à l’épreuve de décennies de réalités, ces intentions pour acquis fixés dans l’espace et enracinés dans leur temps est une autre injonction de la mise en valeur patrimoniale et énergétique. Éclairer ces situations d’héritage, de la ville moderne à la ville contemporaine, d’une lumière de projet engage l’action la plus renseignée. Par sélections soignées et modifications pondérées, l’effort de transformation épargne ses concessions les plus rudes sur le terrain de la mesure, de l’écoute et de la compréhension la plus fine des qualités préalables, latentes ou en devenir. De la lecture faudrait-il encore repartir. L’acte de lire en préalable à la réutilisation des matériaux et des sites, vers une esthétique nouvelle et des poétiques inexplorées.
L’attitude vaut et s’introduit à toutes les échelles, et pour tous les sujets: de l’objet architectural aux infrastructures, à la ville-territoire. Elle implique une culture du bâti à renouveler; porteuse de transition écologique et sociale. Une culture élargie au construit et au vivant qui l’habite, à tout ce qui dessine les cadres quotidiens des formes de vie, de leur expression dans l’espace et de leurs impacts, sur le monde tel qu’il est et tel qu’il se profile.
Paola Viganò dirige depuis sa création le centre Habitat à l’EPFL, dont les activités sont coordonnées par Valentin Bourdon. Avec un groupe de collègues, ils préparent un ouvrage sur la Baukultur.
- Cette chronique parue en octobre 2022 dans le magazine HABITAT des quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), s’inscrit dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.