«Composer avec ma neuro-divergence a changé ma vie»

Joanna Dyson - EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Joanna Dyson - EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Chercheuse postdoc au Laboratoire des environnements extrêmes à Sion, Joanna Dyson vit avec un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Ce sujet sera abordé durant les Jours Santé qui commencent aujourd’hui à l’EPFL.

Dr Joanna Dyson aime se considérer comme une version jeune et féminine du «savant fou». Déjà pendant son doctorat, quand elle pointait des lasers sur des aérosols dans un sombre sous-sol. Et quand elle fait voler des ballons captifs instrumentés dans les grands espaces de l'Arctique, où elle se rend régulièrement pour ses recherches. Il y a un an, quelques semaines avant de déménager en Suisse, elle a découvert un nouvel aspect d’elle-même: on lui a alors diagnostiqué un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH), ce qui a changé le cours de sa vie.

Petite, Joanna Dyson se sentait un peu en décalage. «Je ne comprenais pas vraiment les autres enfants, se souvient-elle. Je passais tout mon temps avec des adultes et étais frustrée face aux enfants que je trouvais lents ou qui ne réfléchissaient pas comme moi.» Par la suite, elle s'est toujours perçue comme plus hyperactive que les autres. «Mais comme je suis intelligente et que je suis une femme, c'était moins visible», dit-elle. Comme elle le souligne, les filles apprennent très tôt à masquer leurs émotions et à copier les comportements des autres, ce qui conduit souvent à un manque ou une erreur de diagnostic par rapport aux garçons. Selon la jeune chercheuse, ce processus de masquage a beaucoup contribué à rendre sa vie plus pénible et plus épuisante.

Son diagnostic de TDAH n'a donc pas été vécu comme un choc. «C’était genre: ah, je suppose que ça a du sens...» Le véritable changement est venu de sa décision de se concentrer sur elle-même, de prendre du temps pour plus d’introspection et d’accepter des aménagements pour rendre sa vie plus facile. La prise de médicaments l'a aussi aidée à gérer les aspects les plus incontrôlables de sa neuro-divergence. «Cela a changé ma vie. Tout à coup, je pouvais commencer une pensée et la terminer. Je pouvais entrer dans une pièce et faire ce que je devais y faire, au lieu d'être aussitôt accablée mentalement et physiquement, de faire demi-tour et fuir.»

Tout à coup, je pouvais commencer une pensée et la terminer. Je pouvais entrer dans une pièce et faire ce que je devais y faire...

Joanna Dyson

La carrière de Joanna Dyson dans la chimie atmosphérique a commencé à l'Université de Leeds, où elle a effectué Bachelor, Master, doctorat et post-doctorat. Elle a ensuite rejoint le British Antarctic Survey à Cambridge et est maintenant basée à ALPOLE, à Sion, avec des expéditions régulières dans le Grand Nord. «L’Arctique se réchauffe bien plus vite que le reste du globe, explique-t-elle, alors j’essaie de comprendre comment les aérosols, qu'ils soient naturels ou d'origine humaine, influencent la formation des nuages dans l'Arctique et comment cela évolue avec le climat.»

Lutter contre l'anxiété et la dépression chroniques

Avant le diagnostic, Joanna Dyson dit avoir été toujours très fonctionnelle extérieurement, malgré une lutte constante contre l'anxiété et une dépression chronique tout au long de sa vie d’adulte. «J’ai toujours été opérationnelle, au travail, accomplissant toutes mes tâches. Une haute productivité, même si cela n'avait aucun rapport avec mon humeur. C'était complètement séparé. Mais finalement, ça m'a rattrapée…»

Elle décrit la paralysie ressentie au cours des pires moments de son TDAH non diagnostiqué: «Je me levais et allais au travail, mais le soir et le week-end, quand personne ne pouvait me voir, je restais pendant des heures assise à fixer le mur. Mon cerveau était comme plein de coton, dense. C’était comme essayer de forcer une pensée à travers de la mélasse.»

Les petites tâches devenaient alors insurmontables. «Je n’ai pas pu entrer dans la cuisine pendant dix jours parce que je n’avais pas fait la vaisselle. Ce n’est pas que je ne voulais pas la faire, c’était comme si mon cerveau ne pouvait pas traiter cela.»

La compagne de Joanna Dyson, Katie, qui a aussi un TDAH couplé avec une forme d'autisme, comprend ses luttes mieux que quiconque. Ensemble, elles ont développé un système qui fonctionne pour elles. «Elle fait la vaisselle, je m’occupe des finances, explique Joanna. Notre neuro-divergence ne se manifeste pas de la même manière, mais il s'agit de comprendre ce que l'autre traverse et de trouver un équilibre.»

Faire face à la surcharge sensorielle

Pour faire face à la surcharge sensorielle, Joanna Dyson porte régulièrement des écouteurs antibruit lors des réunions pour l'aider à se concentrer, une chose dont elle a discuté avec sa responsable peu après son arrivée à l'EPFL. «Elle a été très pragmatique à ce sujet: "Tant que tu peux toujours contribuer, ça me va"», rapporte Joanna. «Donc je porte ces appareils, et les gens savent que c’est ce dont j’ai besoin. Je peux encore entendre et participer à la discussion, je ne veux simplement pas de tout l’excès sensoriel.» Avec le soutien de son entourage, cette approche simple lui permet de composer avec son TDAH plutôt que de laisser ce dernier la contrôler.

Dans l'Arctique, la chercheuse adore s'asseoir à l'arrière du bateau, les jambes pendantes au-dessus de l'eau, à observer le soleil qui ne se couche jamais. «Il y a quelque chose d’incroyable à être sur un bateau dans l’Arctique. Il n’y a que vous, la science et l’océan. La chose la plus hallucinante, c'est la lessive: il n’y a qu’une seule machine à faire tourner, et tous les vêtements que j’ai retournent dans le tiroir. La vie est tellement plus facile à gérer quand vous n’avez pas de possessions matérielles, et que quelqu’un d’autre prépare vos repas, et vous dit même quand les manger!»

Dix heures de voyage pour quelques comprimés

Mais naviguer dans le système médical suisse a été un tout autre défi. Malgré le fait d’être assurée ici, Joanna Dyson prend encore l’avion chaque mois pour retourner au Royaume-Uni afin de récupérer ses médicaments pour le TDAH. «C’est un trajet de dix heures dans chaque sens pour quelques comprimés, ce qui est ridicule. Mais je n’ai pas réussi à trouver un psychiatre qui parle anglais en Valais pour me prescrire mes médicaments. Cela fait plus d’un an, et je fais toujours l’aller-retour.»

La jeune femme regrette en outre l’absence de structures de soutien plus efficaces pour les personnes en situation de handicap, et verrait d’un bon œil plus de dispositifs d’accompagnement à l’EPFL, tant pour les membres du corps estudiantin que pour le personnel. Parmi ces aménagements, elle cite par exemple des aides financières pour des équipements tels que les casques antibruit, ou des outils contre la dyslexie, des services de conseil ou des mentors pour les personnes concernées, ou encore des forums de discussion ou un «safe space» sur ces questions. «Il n’y a pas vraiment de compréhension du TDAH, ou même de la neuro-divergence en général en Suisse, et j’aimerais vraiment que cela change!»

Il n’y a pas vraiment de compréhension du TDAH, ou même de la neuro-divergence en général en Suisse.

Entre ses voyages au Royaume-Uni et son travail de terrain, Joanna Dyson remplit sa vie avec une multitude vertigineuse de passe-temps – autre signe de son hyperactivité – comme le roller, le patin à glace, le «powerlifting», la menuiserie, la couture, la peinture, le crochet et le tricot. «Si je reste inactive trop longtemps, mon cerveau est sous-stimulé et me dit que je ne suis pas assez productive.»

Revenir à la lecture

Depuis qu’elle est sous traitement, elle a renoué avec une ancienne habitude: la lecture. «Quand ma santé mentale a vraiment commencé à déraper, je n’étais pas capable de me concentrer sur un texte, sauf si c’était absolument nécessaire pour mon travail. Ma partenaire m’a aussi aidée à retrouver ce plaisir.» Comme pour tout le reste, l’intensité est au rendez-vous: quatorze livres en parallèle en ce moment, y compris la traduction française d'un roman de Stephen King et un livre en français pour enfants de six ans sur un ours polaire en Arctique, «qui est probablement d’un assez bon niveau», estime-t-elle avec malice.

L'humour, l’esprit et la vivacité: autant de signes distinctifs de Joanna Dyson, qu’elle dévoile à un rythme effréné. Avec un petit coup de pouce de la chimie, elle parvient désormais à en tirer le meilleur parti.

«Comprendre et gérer les troubles de l’attention» sera un des thèmes des Jours Santé, du 30 septembre au 4 octobre à l’EPFL et du 7 au 10 octobre à l’UNIL.


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: Section Génie Civil

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