Comment réussir un réseau de bus à la demande
PROJET ETUDIANT - Dans le cadre de son projet de master en génie civil, Gaelle Abi Younes a enquêté sur le succès mitigé des bus à la demande. Elle propose un modèle technico-commercial qui montre comment ce système peut concurrencer la voiture dans les régions périphériques.
Vélos en libre-service, co-voiturage, Uber, Lyft… Les offres de transports proposant de courts déplacements se sont multipliées depuis la démocratisation des smartphones. Les personnes vivant en périphérie des centres-villes et des grands axes ferroviaires restent toutefois mal desservies par ce type de solutions. Seul un système de «bus à la demande» peut couvrir ces régions et éviter à leurs habitantes et habitants de recourir à la voiture. Encore rares, ces bus sont au cœur du projet de master de Gaelle Abi Younes, réalisé en génie civil à l’EPFL.
«Je voulais un sujet de master innovant, moderne et concernant, ce système m’a donc paru idéal», explique l’ingénieure. «Les bus à la demande ne sont pas nouveaux, mais leur déploiement a beaucoup échoué par le passé, car il n’y a pas eu assez d’études et de modélisation sur le sujet. Il y avait donc un vide dans la littérature qui m’a motivée à explorer ce domaine.» L’ingénieure illustre ce point en indiquant que des projets pilotes ont été menés récemment sur l’arc lémanique sans être renouvelés.
Ce système entre directement en compétition avec la voiture et non avec les bus classiques.
Concrètement, le système de bus à la demande se situe entre une ligne de bus à grande capacité et une offre de transport individuelle de type Uber. Proposant de 25 à 30 places, ces bus visent à relier un village au réseau de transports publics ou au centre-ville le plus proche. «Ce système entre directement en compétition avec la voiture et non avec les bus classiques», précise Gaelle Abi Younes. «Il représente donc une innovation intéressante pour atteindre la neutralité climatique au niveau des transports en Suisse.»
Modélisation technique et économique
Dans une première partie de son travail, l’étudiante a analysé des systèmes de bus à la demande existants, notamment Ebuxi, un exemple bernois qui fonctionne depuis quatre ans. Les études à sa disposition lui ont permis de comprendre certains paramètres socio-économiques, notamment le temps d’attente estimé comme acceptable pour les usagères et usagers et le type de personnes intéressées par ce mode de transport. «Il manquait toutefois une étude globale d’optimisation entre les coûts, le temps de service et le temps d’attente, alors que ce genre de modélisation existe et est très utilisé par des entreprises comme Uber», détaille l’ingénieure.
Cette dernière décide donc de développer et de modéliser un réseau de bus à la demande fictif dans deux zones géographiques différentes: la Chine et la Grèce. Ceci afin de comprendre comment un système de bus à la demande fonctionnerait dans des villes de tailles différentes. L’étudiante a pu valider la théorie, sous forme d’équations, par cette simulation et identifié où se situe l’équilibre entre l'offre et la demande. Ceci lui permet de décrire le fonctionnement de ces systèmes en déterminant par exemple la rentabilité et l'efficacité du réseau. «Plus nombreuse sera la clientèle, mieux le système fonctionnera», résume-t-elle.
Mon travail permettra de modéliser un réseau potentiel, de bien investir et de prédire si celui-ci fonctionnera.
Dans la seconde partie de son travail, Gaelle Abi Younes construit un modèle économique sur la base de ses formules. Ces dernières permettent d’imaginer plusieurs objectifs financiers, de la maximisation du profit à celui, plus réaliste, du calcul d’une subvention publique pour atteindre un prix et un temps de transport compétitifs avec la voiture. «Lancer un projet pilote coûte actuellement beaucoup d’argent. Mon travail permettra de modéliser un réseau potentiel, de bien investir et de prédire si celui-ci fonctionnera», souligne l’ingénieure.
Multiples disciplines
Cette passionnée de transport a décidé d’effectuer son master en Suisse après un bachelor en génie civil complété au Liban. «La Suisse est un modèle en la matière et a une grande variété de transports», explique l’ingénieure, aujourd’hui employée des Transports publics fribourgeois (TPF). «Ce master a dépassé mes attentes, car j’ai pu m’intéresser à de multiples disciplines, allant de la modélisation des feux de circulation à l’économie des transports en passant par la sociologie.» En plus d’un projet de publication scientifique basée sur son projet de master, Gaelle Abi Younes aura peut-être l’occasion d’appliquer concrètement les conclusions de son travail avec les TPF. Ces derniers, qui s’intéressent depuis longtemps à ce système, ont notamment mis au point un bus à la demande durant l’été 2022 à Estavayer-le-lac.
Gaelle Abi Younes, “On the modelling and analysis of on-demand micro-transit services”, conducted in the Urban Transport Systems Laboratory (LUTS) at EPFL, under the supervision of PhD Student Lynn Fayed, under the direction of Full Professor and head of LUTS, Nikolas Geroliminis, 2023.