Comment rénover les bâtiments du 19e siècle sans les dénaturer?
En étudiant l’évolution d’habitations patrimoniales de Lisbonne, Porto et Genève, la chercheuse Catarina Wall Gago a réalisé un guide des bonnes pratiques de rénovation. Son objectif: adapter ces logements aux modes de vie contemporains tout en conservant leurs caractéristiques d’origine.
Les villes européennes ont connu une forte expansion entre la fin du 18e et le début du 20e siècle. Les «immeubles de rapport», destinés à la location et présents notamment dans le Paris haussmannien, et les maisons individuelles, étroites et contiguës, très répandues notamment en Angleterre, caractérisent ces extensions.
Au fil du temps, ces logements ont été adaptés aux nouvelles normes et technologies ainsi qu’à l’évolution des modes de vie. Comment garantir toutefois un juste compromis entre confort et sauvegarde des caractéristiques d’origine lors des travaux de transformation? C’est ce qu’a voulu comprendre Catarina Wall Gago dans sa thèse, réalisée au Laboratoire de construction et conservation de l’EPFL.
Parquets qui craquent, long couloir, hauts plafonds, moulures, cheminée... Tout le monde a un jour pénétré dans l’un de ces appartements chics et anciens. «A l’époque, les matériaux utilisés étaient souvent nobles, avec de la pierre de taille, de la molasse, des charpentes en bois, des boiseries», explique la chercheuse. Cet élément a rendu leur adaptation jusqu’au 21e siècle d’autant plus délicate selon elle, car ses habitantes et habitants souhaitent retrouver ces caractéristiques d’origine tout en jouissant du confort d’aujourd’hui.
Sélection de bonnes pratiques
Les résultats de sa thèse viennent de paraître dans un livre, Entre sauvegarde et confort domestique, Rénovation d’un héritage bâti (MetisPresses). La chercheuse et architecte y compare l’évolution des plans de construction d’immeubles de rapport de Lisbonne, rebâtis après le séisme de 1755, et de Porto, avec une extension de la ville constituée de maisonnettes contiguës. Elle y inclut aussi la ville de Genève, avec une étude de la ceinture Fazyste, construite dès 1850, après la démolition des fortifications, et où ces deux types de constructions co-existent.
Cette recherche dépasse son cadre d’étude et vise à servir de guide pour d’autres villes qui possèdent un patrimoine architectural similaire.
L’ouvrage présente ensuite une sélection de rénovations récentes qui répondent à des besoins actuels d’adaptation de l’espace domestique, de confort thermique ou acoustique, tout en tenant compte de leurs caractéristiques patrimoniales. «En raison de l’uniformité typologique et constructive de ces bâtiments en Europe, avec quelques variations bien entendu, cette recherche dépasse son cadre d’étude et vise à servir de guide pour d’autres villes qui possèdent un patrimoine architectural similaire.» La chercheuse espère ainsi que son travail circulera au-delà des frontières auprès des praticiennes et praticiens du domaine.
Son travail distingue deux phases de rénovation marquantes dans les trois villes étudiées. La première, la phase hygiéniste, allant de la fin du 19e au début du 20e siècle, se caractérise par l’ajout de salles de bain, du chauffage centralisé, et la connexion aux réseaux urbains (eau, électricité, gaz).
La seconde phase, plus récente, du 20e siècle à nos jours, est marquée par la modification de la taille des logements et l’aménagement des combles, en raison du besoin accru d’appartements, la redistribution de l’espace domestique, pour des raisons d’intimité, par exemple, et les enjeux de l’accessibilité et des isolations thermique et acoustique.
Cuisiner devant ses hôtes
«Le rapport à la rue m’a beaucoup intéressé», détaille Catarina Wall Gago. «A l’origine, les pièces principales de réception des visiteurs donnaient presque systématiquement sur la rue, à l’exemple du salon et de la salle à manger. On cachait la cuisine et les domestiques à l’arrière. Aujourd’hui, on voudrait que la cuisine soit intégrée au salon, on veut la rendre visible, ce n’est plus un élément de gêne, mais fréquemment un espace qui participe à la vie sociale durant la préparation des repas.»
Les rénovations ont ainsi parfois ajouté une salle à manger à la cuisine d’origine, lorsque sa taille le permettait, ou déplacé le salon ou la cuisine de sorte qu’ils soient l’un à côté de l’autre. Autre exemple donné par la chercheuse: la rénovation des alcôves, ces petites pièces dont la porte est souvent surmontée d’une vitre. Conçues comme des chambres à coucher, des dressings ou des chambres d’enfant, elles sont aujourd’hui utilisées comme W.C. ou pièces flexibles pour accueillir un bureau ou une bibliothèque.
Isoler au bon endroit
Au niveau thermique et acoustique, la question du remplacement des fenêtres est souvent au cœur des débats, entre confort et respect des matériaux d’origine. «De nos jours, des avancées techniques permettent des rénovations qui maintiennent les cadres de fenêtres d’origine en changeant le vitrage par un vitrage isolant ou par un vitrage sous vide», indique l’architecte, qui poursuit son travail au Laboratoire de relations humaines-environnementales dans les systèmes urbains (HERUS), au sein de la Faculté de l'environnement naturel, architectural et construit (ENAC). «Il y a toujours des compromis à trouver, si les gens veulent bien les trouver. Une isolation des murs et des planchers est plus adaptée au patrimoine si elle est faite au cas par cas et selon les caractéristiques des façades ou des pièces, par exemple, afin de conserver au mieux les matériaux d’origine.»
A noter que le livre existe également en version numérique en anglais sur le site de l’éditeur, avec de nombreuses fiches techniques et images additionnelles.