Comment offrir une meilleure place aux femmes à l'EPFL
Dossier égalité (1/2) - L’EPFL reste une école à majorité masculine, surtout au niveau des professeurs et des cadres. Mais la Direction affiche une volonté claire de faire bouger les statistiques. Un plan d’action 2017-20 vise à promouvoir l’égalité des chances, du recrutement des étudiantes à l’engagement des professeurs. Quelques clés pour identifier nos stéréotypes et rétablir l’équilibre. Témoignages d’hommes et de femmes.
En progrès, mais peut faire mieux. Voilà en résumé le bilan de l’EPFL en matière d’égalité des genres. Le rapport de monitoring 2016-2017 va être envoyé la semaine prochaine au Conseil des EPF* et il confirme que, si la proportion de femmes progresse, on est encore loin d’atteindre la parité. Sur l’ensemble de l’Ecole, on dénombre un tiers d’étudiantes en Bachelor, mais seule une femme sur dix porte le titre de professeur ordinaire.
«Des statistiques relativement mauvaises», a qualifié le vice-président pour l’éducation Pierre Vandergheynst, le 8 mars, lors de la table ronde organisée par EPFL Alumni à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Mais la bonne nouvelle est que la Direction de l’Ecole affiche la volonté claire de faire bouger les proportions. Pour la première fois, un plan d’action en 8 points a été élaboré pour la période 2017-2020. Il comprend des mesures qui visent à favoriser le recrutement des étudiantes et à augmenter l’engagement de professeures, en passant par la création d’un environnement propice à l’égalité et par le suivi statistique et les rapports réguliers.
«Nous ne pouvons pas nier que les stéréotypes et les biais inconscients ont la vie dure et promouvoir l’égalité est une question de justice sociale. Cela fait avancer la recherche, l’innovation et la performance des entreprises. Suffisamment de raisons pour dépasser nos résistances et travailler ensemble pour le changement», justifie le président de l’EPFL, Martin Vetterli.
Un premier état des lieux a guidé les actions. Par exemple, on peut constater une chute de la proportion de femmes entre le Bachelor et le Master. «Est-ce parce qu’une plus grande proportion d’étudiantes décident de suivre leur Master ailleurs?, avance Hélène Fueger, déléguée à l’égalité. Ou parce que plus d’étudiants arrivent d’autres universités?» Car une chose est sûre: «Les filles réussissent aussi bien que les garçons.»
Une «science de filles»? Que nenni!
Autre statistique éloquente: la parité atteinte au niveau Bachelor en Faculté des sciences de la vie (voir page suivante). Pourquoi les jeunes filles s’intéressent-elles plus à ce domaine? «Peut-être parce que les sciences de la vie sont spontanément moins associées aux sciences techniques, avance Hélène Fueger. Pourtant le niveau de maths, de physique et de technicité est rigoureusement le même que pour les ingénieurs!» Conclusion: «Il faut travailler sur la perception de ces domaines en amont.»
Le plan d’action ne propose pas d’objectifs chiffrés, mais invite les facultés à en définir. Tant pour augmenter le taux d’étudiantes que le nombre de professeurs femmes. A ce niveau, le système de tenure-track porte ses fruits, mais tarde à se concrétiser au-delà. Un des leviers utilisés est maintenant la recherche proactive de candidates pour des postes de professeurs assistants ou ordinaires. «Cela va lentement. Mais si on n’avait rien fait, le constat serait encore pire, assure Hélène Fueger. Il faut des efforts très conscients pour arriver déjà à ces chiffres.»
Des femmes à tous les échelons
Le plan d’action ne concerne pas uniquement le domaine académique. Sur les quelque 6000 employés de l’EPFL, un bon quart appartient au personnel administratif et technique. Là, la gent féminine est mieux représentée, plus de 40%, mais elle tend à diminuer à mesure que l’on gravit les échelons. Dans les postes de direction non académiques, on compte cinq femmes pour douze hommes. «Nous voulons bénéficier des compétences des femmes partout, également à des postes non académiques», rappelle Susanna Swann, directrice des ressources humaines.
Comme pour les postes de professeurs, la recherche proactive de candidates pour les postes de cadres au niveau administratif et technique fait partie du plan d’action. Pour Susanna Swann, cette mesure s’inscrit dans un cadre plus large qui vise à rendre l’environnement plus attractif pour les femmes, donc plus ouvert et en soutien. «Les biais ne s’arrêtent pas aux postes académiques. Il est important que nous – RH – en soyons conscients et que nous contribuions à combattre les biais de genre, tant auprès des cadres que des collaborateurs et collaboratrices.»
Un esprit de pionnière
Parallèlement, on doit tenir compte du fait que la ligne du temps est différente pour les femmes que pour les hommes. «Entre 30 et 40 ans, les femmes se consacrent souvent en priorité à leurs enfants alors que les hommes consolident leur carrière. Les femmes quittent alors souvent les postes classiques de progression hiérarchique pour des postes plus conciliables avec leurs engagements familiaux. Il est important non seulement de leur permettre de rester dans le monde professionnel, mais aussi de savoir identifier les talents et les compétences, y compris parmi celles qui ont un parcours moins classique, moins linéaire.»
Enfin, la directrice des RH insiste sur le fait que les femmes ont besoin d’encouragements et de modèles. «Il peut être difficile de se projeter dans des postes à responsabilité lorsque ceux-ci sont presque tous occupés par des hommes. Pour une femme, cela requiert encore aujourd’hui un esprit de pionnière, alors que pour un homme «devenir chef» est une aspiration au fond très traditionnelle.»
Et quid de l’égalité salariale? «Nous y sommes attentifs : les biais peuvent aussi se traduire par des différences salariales. Au-delà d’un monitoring, une certification serait un élément positif pour faire la démonstration d’un environnement équitable», souligne Susanna Swann.
*Rapport disponible dès le 18 avril sur equality.epfl.ch
Lire le dossier complet dans l'EPFL Magazine du mois d'avril 2018.
L’égalité des sexes au quotidien dans les labos. Paroles d’hommes
Il y a la détermination à promouvoir l’égalité, l’envie de contrer les biais et les stratégies mises en place. Parfois, l’équilibre hommes / femmes se fait presque naturellement ou pas du tout. Cinq professeurs engagés partagent leur expérience.
Il y a les professeurs militants de la première heure, Berend Smit est l’un d’eux: «En faisant partie du comité d’égalité de la Fondation scientifique néerlandaise (FOM), en physique, j’ai pris conscience des nombreux biais cachés dans la science. En discutant avec de jeunes femmes scientifiques qui ne voulaient pas faire carrière, j’ai remarqué que beaucoup se plaignaient de la concurrence extrême. Il faut se battre pour publier un article, pour obtenir des subventions, et certaines m’ont rendu attentif au fait que la compétition mitait les groupes de recherche. Je me suis empressé de l’éliminer du mien. Il n’est pas nécessaire de rivaliser pour être compétitif. Au fil des ans, le nombre de femmes a augmenté dans mon groupe. S’il y a une corrélation, je ne sais pas, mais je suis ravi de voir que la production et la qualité se sont aussi améliorées.»
Il y a ceux qui managent leur vie privée et leur carrière de la manière la plus «fair» possible. Après avoir pu compter sur sa femme en début de carrière, Alcherio Martinoli l’a soutenue pendant six ans lors de sa reconversion professionnelle et s’est occupé de leurs deux enfants: «Ma carrière a sûrement souffert de ce choix, mais en contrepartie j’ai passé plus de temps avec mes enfants. En tant que directeur d’un laboratoire de robotique et systèmes embarqués, domaine très masculin, ce n’est pas évident de trouver des solutions paritaires. J’ai choisi de recruter autant de doctorantes que de doctorants. Cela demande d’être attentif à chaque dossier féminin et, souvent, de mettre plus d’énergie de persuasion.»
Lors des commissions de recrutement, Michel Bierlaire admet que les candidatures féminines sont rares en transport et mobilité: «Je mets un point d’honneur à trouver une femme pour rééquilibrer mon groupe, j’aime cet équilibre entre hommes, femmes, nationalités et compétences.» Pour lui, il est aussi primordial d’intéresser les filles dès leur plus jeune âge aux métiers de l’ingénierie afin de casser l’image formatée de la société : « Elles se freinent elles-mêmes de faire carrière. J’avais une doctorante brillante qui était en fin de thèse, je lui ai suggéré de postuler à un poste de professeur au MIT. Elle a trouvé mille excuses, j’ai dû la persuader. Choisie dans la short liste, elle doutait encore. Aujourd’hui, elle occupe le poste. »
Martin Vetterli a eu l’idée de transformer un revers en réussite: «Il y a six ans, lorsque je cherchais des doctorants dans mon laboratoire, il y avait une majorité de candidats masculins, comme d’habitude en informatique. Comme je souhaitais limiter l’expansion de mon labo, j’ai décidé, d’une part, de me fixer un objectif en termes de recrutement et, d’autre part, d’examiner d’abord les candidatures féminines. Ce n’était pas une mauvaise idée, car aujourd’hui la majorité des doctorants de mon laboratoire sont des femmes. Certaines deviennent même des modèles auxquels mes doctorantes peuvent s’identifier.»
De son côté, Pierre Vandergheynst se demande pourquoi les femmes scientifiques boudent son laboratoire de traitement des signaux : «Il n’y a malheureusement qu’une femme qui travaille pour moi. J’ai la sensation qu’il manque 50% de talents dans mon laboratoire. Je suis certain que si des candidates potentielles regardent les pages web de mon labo, elles ne vont pas vouloir postuler parce qu’elles se disent : « Je vais me retrouver seule dans un groupe avec six types». C’est un cercle vicieux. Si ça continue, je vais faire la liste de toutes les candidates de l’Ecole doctorale et leur dire qu’il y a un poste à pourvoir chez moi. Je trouve ça d’autant plus injuste que mon collègue Pascal Frossard, qui a un laboratoire en tout point pareil au mien, atteint la parité! Mais comment fait-il?»