Comment les facteurs contextuels contrôlent l'activité des gènes
Des chercheuses et chercheurs de l’EPFL ont découvert une nouvelle classe de facteurs de transcription qui jouent un rôle clé dans la régulation des gènes. Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives sur la façon dont les cellules maintiennent leur identité et leur fonction.
Chaque cellule de notre corps contient le même ADN, mais les cellules du foie sont différentes de celles du cerveau, tout comme les cellules de la peau de celles des muscles. Qu’est-ce qui détermine ces différences? Tout repose sur la régulation des gènes, c’est-à-dire comment et quand les gènes sont activés et désactivés pour répondre aux besoins des cellules. Mais la régulation des gènes est assez complexe, notamment parce qu’elle est elle-même régulée par d’autres parties de l’ADN.
Les régulateurs de gènes: amplificateurs (enhancers) et facteurs de transcription
Deux éléments importants contrôlent la régulation des gènes: les premiers sont les amplificateurs, à savoir de courtes séquences d’ADN qui augmentent la probabilité d’activation d’un gène, même si ce gène se trouve loin de l’amplificateur sur le génome.
Les seconds sont des protéines spécialisées, généralement appelées «facteurs de transcription», qui se lient aux amplificateurs et, grosso modo, contrôlent l’expression des gènes en «activant» les interrupteurs génétiques. Les facteurs de transcription se présentent sous de nombreuses formes. Les études actuelles estiment à plus de 1600 le nombre de facteurs de transcription dans le seul génome humain.
Des «motifs» d’amplificateur
Malgré le rôle essentiel des amplificateurs et des facteurs de transcription, les scientifiques peinent à comprendre exactement la manière dont ils interagissent. Les approches traditionnelles ciblent ce que les généticiennes et généticiens appellent les «motifs» de l’ADN: des séquences spécifiques d’ADN présentes dans différentes parties du génome, comme un motif musical reconnaissable qui apparaît dans différentes parties d’une symphonie.
La stratégie actuelle consiste à trouver des motifs au sein des amplificateurs qui sont reconnus par des facteurs de transcription particulièrement performants. Toutefois, elle n’a pas encore permis d’expliquer la complexité de la régulation des gènes.
Trouver ces motifs individuels semble ne pas être suffisant. Le «contexte de l’amplificateur» global dans lequel ces motifs sont intégrés a aussi son importance. Cela a abouti à la recherche de nouvelles méthodes pour mieux comprendre comment de multiples facteurs de transcription interagissent au niveau des amplificateurs pour adapter l’expression des gènes.
Une nouvelle approche
Une équipe de scientifiques faisant partie du groupe de Bart Deplancke de l’EPFL vient de développer une nouvelle approche pour étudier l’interaction entre les amplificateurs et les facteurs de transcription. Ils ont identifié un nouveau type de facteurs de transcription «uniquement contextuels». Il s’agit de protéines qui semblent stimuler l’activité des facteurs de transcription qui définissent l’identité cellulaire (par exemple, les cellules rénales, sanguines ou cérébrales).
Dirigée par Judith Kribelbauer, cette recherche permet de mieux comprendre les environnements coopératifs créés par les facteurs de transcription pour réguler efficacement les gènes. Elle a été publiée dans la revue Nature Genetics.
Les chercheuses et chercheurs ont utilisé les données d’un type d’analyse génétique appelé «cartographie des loci de caractères quantitatifs d’accessibilité à la chromatine (caQTL)». Les caQTL sont des variations de séquences d’ADN spécifiques d’une population qui influencent l’accessibilité d’une région du génome aux régulateurs de gènes tels que les facteurs de transcription, ce qui a des répercussions sur l’expression des gènes.
En étudiant les amplificateurs qui contiennent des caQTL, l’équipe a évalué l’emplacement des motifs de différents facteurs de transcription. Cela a mené à la découverte de facteurs de transcription «uniquement contextuels». Ce nom reflète le fait que ces motifs d’ADN se trouvent à proximité des caQTL au sein de l’amplificateur correspondant.
«L’existence de facteurs de transcription uniquement contextuels nous a surpris, car les études antérieures portant sur la manière dont les variations de l’ADN affectent la régulation des gènes se sont concentrées sur les facteurs de transcription directement concernés par les caQTL, déclare Judith Kribelbauer. Certes, nous souhaitions savoir ce que font exactement ces facteurs de transcription dans le contexte des caQTL, et s’ils peuvent jouer un rôle dans le choix des nombreuses mutations de l’ADN dans nos génomes qui affectent la régulation des gènes.»
L’étude a montré que les facteurs de transcription uniquement contextuels, qui ne déclenchent pas directement l’activité des gènes, sont néanmoins essentiels pour renforcer les effets des facteurs de transcription liés aux caQTL qui déclenchent des changements de l’état de l’amplificateur. En fait, ils contribuent à créer un environnement coopératif qui est plus efficace pour la régulation des gènes importants.
L’équipe a également découvert que les facteurs de transcription uniquement contextuels n’ont pas besoin d’être à proximité directe des facteurs de transcription qu’ils renforcent, ce qui indique qu’ils fonctionnent par le biais d’un mécanisme collaboratif plus souple et plus dynamique que ce que l’on pensait.
Une autre découverte importante est que les facteurs de transcription uniquement contextuels peuvent contribuer à la formation de groupes de facteurs de régulation, qui sont essentiels au maintien de l’identité cellulaire. Ces groupes peuvent former des réseaux complexes d’amplificateurs qui interagissent pour réguler l’expression des gènes, ce qui rend le processus très adaptable aux différents besoins cellulaires.
En découvrant le rôle des facteurs de transcription uniquement contextuels, les scientifiques peuvent désormais mieux comprendre comment les gènes sont régulés dans la santé et la maladie, et comment cette régulation se dérègle, par exemple à la suite de mutations de l’ADN souvent présentes dans des maladies complexes telles que le cancer.
L’étude fournit également un cadre permettant de comprendre la manière dont les différents facteurs de transcription interagissent dans divers contextes cellulaires, ce qui pourrait conduire à des thérapies génétiques plus ciblées et plus efficaces, par exemple par la conception d’amplificateurs de synthèse.
Autres contributeurs
- Institut Suisse de Bioinformatique
- Académie tchèque des sciences
- Université Charles
Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)
Centre d’imagerie de l’EPFL
Bourses Marie Skłodowska-Curie
Organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO)
Judith F. Kribelbauer-Swietek, Olga Pushkarev, Vincent Gardeux, Katerina Faltejskova, Julie Russeil, Guido van Mierlo, Bart Deplancke. Context transcription factors establish cooperative environments and mediate enhancer communication. Nature Genetics 06 Septembre 2024. DOI: 10.1038/s41588-024-01892-7