Comment les buissons perturbent le stockage naturel du carbone

© 2013 Luca Bragazza - EPFL

© 2013 Luca Bragazza - EPFL

Pour la première fois, des scientifiques du WSL et de l’EPFL ont montré comment, sur le long terme, les tourbières pourraient ne plus remplir leur rôle d’écosystèmes les plus performants pour capturer le carbone. Ils ont étudié les mécanismes d’un phénomène connu sous le nom d’embroussaillement des tourbières: des interactions complexes entre plantes et microorganismes sont à l’origine de ces changements de végétation observés à l’échelle mondiale. Les résultats ont été publiés online aujourd’hui dans la revue Nature Climate Change.

Les tourbières (ou marais tourbeux) comptent parmi les écosystèmes les plus efficaces à l’échelle mondiale pour la séquestration du carbone atmosphérique et pour limiter le réchauffement climatique. Depuis 30 à 50 ans, les mousses de tourbière (Sphaignes), dont la décomposition forme la tourbe, sont mises en péril par les plantes vasculaires, principalement les buissons. Une nouvelle étude réalisée par les scientifiques de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL et de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne décrit pour la première fois ce changement de végétation. Elle montre pourquoi les plantes vasculaires sont avantagées par rapport aux mousses dans un contexte de climat plus chaud.

Les découvertes en bref
L’équipe de chercheurs a étudié quatre tourbières à des altitudes allant de 600 à 1900 m durant une période de trois ans. Ce gradient d’altitude reflète les changements de conditions climatiques attendus en 2050 au nord de la Suisse. Les augmentations du recouvrement des buissons et de la température du sol observées le long du gradient d’altitude ont été reconnues responsables de la diminution de presque 50% de la production de nouvelle litière par les mousses, principales contributrices d’accumulation de tourbe.

Les analyses ont montré que les composés chimiques contenus dans les feuilles des plantes vasculaires peuvent augmenter la disponibilité de l’azote du sol. Or les plantes exploitent ce fertilisant par l’intermédiaire de symbioses fongiques au niveau des racines (mycorhizes) — un processus qui s’accentue quand la température du sol augmente. Leur croissance est donc stimulée, au détriment de celle des mousses.Moins de mousses signifie moins de nouvelle tourbe pour stocker le carbone atmosphérique. Par ailleurs, lorsque le sol est plus chaud, les plantes vasculaires relâchent davantage de matière organique dans le sol par leurs racines, ce qui stimule l’activité de décomposition des microorganismes du sol. Ceci accélère la décomposition de la tourbe ancienne. En conséquence, le carbone qui devrait normalement être capturé pour des millénaires peut être relâché dans l’atmosphère. Les tourbières pourraient passer d’un état de puits de carbone à celui d’une source de carbone, et ainsi intensifier le réchauffement climatique au lieu de contribuer à sa diminution.

Les tourbières jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat
Bien que les tourbières ne couvrent que 3% des surfaces terrestres du globe, elles contiennent environ 30% de toute la matière organique des sols, ce qui équivaut à environ 50% du CO2 atmosphérique. A l’échelle mondiale, les tourbières stockent une quantité de carbone équivalente au double de celle qui est accumulée dans les forêts. En ce sens, les tourbières peuvent être considérées comme des hotspots d’accumulation de carbone. Au fil des millénaires, elles ont effectivement contribué à refroidir le climat en retirant de l’atmosphère des gaz à effets de serre.

En Suisse, les tourbières se sont fait connaître du grand public à la suite de l’initiative de Rothenturm, qui a été suivie en 1987 par un article constitutionnel pour les sauver de la destruction.

Dans les tourbières, l’accumulation de tourbe est essentiellement due à un groupe particulier de plantes appelées mousses de tourbières (Sphaignes), dont la litière a des propriétés antibiotiques qui ralentissent l’activité de décomposition des microorganismes du sol. De plus, la présence d’eau stagnante dans les sols tourbeux non seulement favorise la croissance de ces mousses (qui n’ont pas de racines, contrairement aux plantes vasculaires), mais crée aussi des conditions anoxiques qui limitent encore davantage la décomposition de la matière organique morte des végétaux. Dans une tourbière typique, ces mousses de tourbière dominent le paysage.