Comment le provisoire permet de tester les usages
Dans cette chronique, parue dans trois quotidiens romands, Camille Fauvel, chargée de cours en architecture à l’ENAC, explique que les structures provisoires permettent d’observer comment les gens s’approprient un espace public sans le figer. Elle cite l’exemple d’un projet mené par l’EPFL sur les rives du Léman.
En 2021, un groupe de première année en architecture à l’EPFL a réalisé une descente pour accéder au lac aux Bains de Saugy, situés à Genthod, dans le canton de Genève. Les pieds dans l’eau, l’installation constituée de gradins en bois a vécu deux étés et deux hivers, s’apprêtant à en passer un troisième. Je le visite régulièrement, l’entretenant pour chaque saison en compagnie d’un groupe de quatre étudiantes et étudiants persévérants, impliqués depuis l’origine.
On observe les effets du ressac puissant sur la structure, on l’adapte doucement pour qu’elle continue tranquillement sa mission toute simple: accueillir les personnes qui aiment flirter avec l’eau. La structure, appuyée contre le mur de soutènement du jardin et contre la limite extérieure de la zone de baignade, étire les contours de toute les limites pour offrir une place au soleil. On s’attache à son existence et on apprend que l’on n’est pas les seuls. Installée dans le cadre de l’exposition Open House, l’installation a pris le temps de convaincre par habitude. Son permis de manifestation, précaire autorisation de séjour dans le lac, est renouvelé jusqu’à la fin 2023. Le souhait d’une pérennisation est également exprimé, avec des inquiétudes bien sûr. Est-elle capable de tenir? Que faut-il faire pour l’installer plus durablement sur les bords du Léman?
Cette solution de frondeur discret a à cœur de ne pas poignarder le lac.
Entretien saisonnier
Jamais imaginé pour partir, mais pas non plus pour être définitif, ce projet, encadrés par le laboratoire ALICE dirigé par Dieter Dietz et Daniel Zamarbide , est une tentative. La faim d’aventure avait justifié les moyens: projet du Covid, c’est la réalisation de 22 personnes assoiffées d’extérieur, de liberté, qui ont mis toutes leurs forces, fabriquant même les radeaux nécessaires au déplacement des pièces du projet par le lac, la rive étant trop étroite pour y travailler. Plateformes légères, doucement gradinées pour s’assoir et rejoindre l’eau, arrimées au mur et posées sur le fond du lac, lestées de pierres retenues dans de grands bacs de chêne gentiment calés, le projet bouge doucement comme un roseau, jouant mais ne craquant pas. Cette solution de frondeur discret ayant à cœur de ne pas poignarder le lac, élaborée avec Julien Gamerro, ingénieur civil et charpentier, n’obéit à aucun modèle de calcul préétabli, seulement aux règles du bon sens observateur qui ausculte comme un médecin généraliste. Presque en cale sèche en hiver, grâce à la baisse contrôlée des eaux pour nettoyer les berges, la situation se prête à un entretien saisonnier.
Perpétuer sans pérenniser
L’installation, moitié en territoire cantonal, moitié sur une parcelle communale, en somme dans une incertitude aussi structurelle qu’administrative, est une parfaite candidate pour tenter de perpétuer sans pérenniser. Nous espérons faire de Genthod un projet pilote pour chercher comment établir, un permis provisoire à vocation de durer, accompagné d’un contrat d’entretien par le projet, pour permettre l’essai et éviter l’irrévocable, dans des lieux où écosystème délicat et usages ne peuvent se voisiner qu’en douceur.
Camille Fauvel, architecte urbaniste et chargée de cours au laboratoire ALICE, EPFL.
- Cette chronique est parue en avril 2023 dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.