Comment l'énergie affecte les liaisons entre protéines

La Hsp70 dans une conformation fermée ©2014 EPFL

La Hsp70 dans une conformation fermée ©2014 EPFL

Les fonctions cellulaires ne peuvent être déchiffrées que si l’on saisit les interactions moléculaires. Or, des chercheurs de l’EPFL ont démontré comment des systèmes vivants pouvaient utiliser de l’énergie pour exécuter une fonction de façon nouvelle et non intuitive. Cette trouvaille pourrait constituer un nouveau paradigme de processus biologique à l’échelle moléculaire.

Les chaperons sont des protéines qui en aident d’autres, comme l’ADN par exemple, à se replier. Les chaperons les plus connus sont les protéines de choc thermique. Elles font partie de la famille 70 (Hsp70) et sont très répandues dans la cellule, car elles interviennent dans de multiples processus de premier ordre comme la traduction de l’ARN, le trafic de protéines, leur démontage complexe, leur dégradation et la signalisation cellulaire. Tous ces procédés impliquent que les Hsp70 se lient fortement aux protéines cibles, ce qui nécessite beaucoup d’énergie, mais le lien exact entre consommation énergétique et puissance de liaison restait jusqu’ici indéfini. Or, un article d’eLife explique que des scientifiques de l’EPFL ont décrit en exclusivité comment la consommation d’énergie influençait la liaison des Hsp70 aux protéines cibles, offrant ainsi une nouvelle vision des processus biologiques en général.

Les protéines jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement d’une cellule, et leur activité est souvent liée à leur structure 3D. La stabilité de celle-ci dépend des diverses interactions chimiques et physiques, qui sont sensibles à une chaleur excessive, aux modifications de pH à l’intérieur de la cellule, ainsi qu’à la présence de certains composés chimiques. De telles conditions néfastes peuvent affecter la structure de la protéine et donc sa fonction.

Les chaperons forment un groupe de protéines spécialisées qui s’assurent que les autres protéines maintiennent une structure correcte et fonctionnelle, et qui aident les protéines dont la structure a été affectée à se replier. Une des familles bien connues de chaperons s’appelle Hsp70. Or, les Hsp70 ont besoin d’énergie pour jouer leur rôle. Celle-ci leur est fournie par la dégradation d’une molécule appelée adénosine triphosphate, ou ATP.

Toutefois, la façon dont les Hsp70 travaillent et utilisent cette énergie n’était jusqu’ici pas claire. Il s’agit en effet de comprendre comment les Hsp70 s’attachent à une protéine pour la replier. Les études précédentes ont démontré que cette liaison était très efficace lorsque les Hsp70 adoptaient différentes structures, suite à un cycle complexe régi par l’ATP.

Or, Paolo De Los Rios et Alessandro Barducci de l’EPFL ont découvert que l’énergie fournie par la dégradation de l’ATP permettait d’obtenir une liaison de haute affinité entre les Hsp70 et leurs protéines cibles. En développant un modèle théorique des propriétés cinétiques des Hsp70, les chercheurs suggèrent que ces liaisons régies par l’adénosine triphosphate se déroulent dans des conditions cellulaires normales, mais nécessitent un surplus de Hsp70, ainsi qu’un taux de production énergétique par l’ATP extrêmement élevé. En outre, les différentes structures tridimensionnelles des Hsp70 montrent des propriétés cinétiques diverses, qui jouent un rôle majeur dans la création de liaisons de haute affinité.

Ce principe n’est pas limité aux Hsp70 et implique que la consommation d’énergie peut accroître l’affinité de liaison dans d’autres protéines et systèmes biomoléculaires. Une fois confirmé, ce constat modifierait notre compréhension des processus biologiques à l’échelle moléculaire, ce qui pourrait avoir d’énormes implications sur les biotechnologies et les médecines du futur. « Le cœur de notre article est l’émergence de la prise de conscience que grâce à l’énergie, les systèmes vivants peuvent s’écarter de ce qui est possible en équilibre thermodynamique et présenter de nouvelles caractéristiques non intuitives. Nous avons ici prouvé que l’affinité des Hsp70 et ses protéines cibles pouvait être bien plus élevée que ce qui serait usuel en équilibre. Ce phénomène, baptisé ici « ultra-affinité », pourrait représenter un nouveau paradigme dans les processus biologiques à l’échelle moléculaire. »

Source
De Los Rios P, Barducci A. Hsp70 chaperones are non-equilibrium machines that achieve ultra-affinity by energy consumption. eLife DOI: 10.7554/elife.02218