Claude Nicollier, éternel premier Suisse dans l'espace

©Alain Herzog/ 2017 EPFL

©Alain Herzog/ 2017 EPFL

Il y a juste 25 ans, l'astronaute vaudois s’envolait à bord de la navette spatiale Atlantis pour le premier de ses quatre séjours au-delà de l’atmosphère terrestre. A l’occasion de ce jubilé, une soirée publique en son honneur est organisée ce vendredi au SwissTech Convention Center. En primeur, il se remémore l’aventure.

Professeur à l’EPFL depuis 2004, Claude Nicollier restera célèbre pour avoir été le premier Suisse dans l’espace. Il s’y est rendu à quatre reprises dans les années nonante, à bord de l’une des navettes spatiales américaines. C’est sur Atlantis qu’il s’envole la toute première fois pour un séjour de huit jours à 300 km du sol, entre le 31 juillet et le 8 août 1992. Pour célébrer les 25 ans de cet événement, l’association SwissApollo organise une soirée spéciale le 3 novembre au SwissTech Convention Center de l’EPFL. Chaleureux et modeste, l’astronaute a accepté de nous raconter, en primeur, cette incroyable aventure.

- Pouvez-vous nous raconter les prémisses de ce premier vol?

"Une première mission, c’est comme toute autre première dans la vie: inoubliable. C’était le produit d’une longue période d’entraînement, 14 ans après avoir été choisi comme astronaute de l’Agence spatiale européenne. L’accident de Challenger, six ans plus tôt, avait considérablement retardé mon vol. Tout comme le fait que j’étais le seul non-américain à faire un entraînement complet sur la navette spatiale comme «mission specialist». La NASA m’avait informé qu’elle me ferait voler uniquement sur des mis­sions où la charge utile euro­péenne en soute serait impor­tante. Ce vol à bord d’Atlantis répondait à ces critères, avec, d’une part le largage d’un satellite captif italien et, d’autre part, le satellite EURECA (ndrl: European Retrievable Carrier, ou Transporteur récupérable européen, désormais exposé au Musée des transports de Lucerne).

- Comment se sont déroulés les derniers jours avant le vol?

Trois jours avant le décollage, nous sommes allés au Kennedy Space Center, en Floride, avec les avions de transport personnels de la NASA, les T38. Environ deux semaines plus tôt, au même endroit, on avait fait ce que la NASA appelait le TCDT ou «Terminal Count-Down Demonstration Test», , une sorte de répétition où l’on teste tout ce que l’on va faire le jour du départ, à l’exception de l’allumage des moteurs. Grâce aux simulateurs, on a déjà une idée des sensations du départ. Mais le jour J, quand c’est la réalité et que cela commence à vibrer, c’est une impression tout à fait hors du commun…

- Que ressent-on à ce moment-là?

Il y a énormément de secousses et de vibrations. La navette est très lourde, 2’000 tonnes. Il faut donc 3’000 tonnes de poussée pour permettre au tout de s’élever. On a donc le sentiment d’être dans une machine d’une très, très grande masse. Sur sept astronautes, nous étions seulement deux «rookies», à ne jamais avoir volé: Franco Malerba, le premier astronaute italien, et moi-même. Nous sommes arrivés en orbite en 8 minutes et demie. C’était un mélange de vague inquiétude - car c’est bel et bien dangereux, il n’y a pas de doute - et de folie, avec un tel déploiement de force et de carburant. Il y avait aussi ce sentiment de vivre le début d’une grande aventure. Et d’avoir beaucoup de travail… Le déploiement d’Eureca à partir de la soute de la navette était une opération relativement courante. Pour le satellite captif, en revanche, il y avait de grandes interrogations.


Photo prise par l'équipe des astronautes pour exprimer leurs craintes quant au déploiement du satellite captif.

- Comment avez-vous vécu la microgravité?

On flotte. Au début, c’est perturbant, surtout au moment de la coupure des moteurs principaux. Quand on passe de 1 à 0 G, on a l’impression de subir une force qui nous fait monter. J’avais l’impression que j’allais tout le temps me cogner la tête au plafond! De plus, nous sommes équipés de scaphandres oranges assez lourds, qui nous rendent peu mobiles. On a des nausées, l’équivalent du mal de mer. On doit apprendre à vivre dans ces conditions. La première nuit, il n’a pas été facile de fermer l’œil. Le lendemain, on se sentait déjà mieux, mais toujours secoué par la montée. Je le suis resté les 48 premières heures. En même temps, c’est fabuleux: la nuit, on voit le ciel étoilé et le jour, la Terre qui défile rapidement.

- Malgré ces difficultés physiques, vous avez effectué votre travail…

J’avais un rôle important dans le déploiement d’EURECA, celui d’opérer le bras robotique qui permettait l’opération. Après le largage, nous devions voler en formation avec l’appareil durant quelques heures, jusqu’à ce que le sol commande un système de propulsion qui l’amène sur une orbite plus élevée. Après, nous sommes passés à la deuxième étape, c’est-à-dire le satellite captif. Et là, nous avons rencontré toutes sortes de problèmes. Je dirais que, des quatre missions que j’ai faites, c’est la partie qui a le moins bien fonctionné. Le satellite était relié à la navette par 20 kilomètres de câble. Nous craignions surtout qu’il se détende, et c’est ce qui est arrivé, après 200 mètres de déploiement seulement…

Comment cela s’est-il passé?

Le dérouleur du câble s’est bloqué. Avec l’élasticité du câble, le satellite est revenu vers nous. Le câble était alors complètement détendu. Avec le gradient de gravité, le satellite allait lentement repartir vers le haut. Au moment où le câble allait être tendu, il fallait que le satellite ait la bonne orientation pour ne pas commencer à tourner sur lui-même. Nous avons commandé son attitude avec les touches d’un clavier alphanumérique – ce qui est un peu comme d’essayer de conduire un camion en pressant des touches sur un clavier! Pas facile! On a bien transpiré! Finalement, nous avons réussi à le stabiliser et le ramener vers nous.


Dans cette vidéo, les astronautes racontent le déroulement de leur mission.

- Un autre souvenir marquant de cette mission à partager avec nous?

Il y a eu évidemment cette discussion télévisée avec le conseiller fédéral Adolf Ogi, avec cette expression fameuse et intraduisible: «Freude herrscht!» C’est la joie, peut-être? Ces mots très forts sont devenus un véritable concept, presque une idéologie, pour moi, et pour lui aussi. Un message extrêmement positif.

- Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui, dans ce type de missions?

Notamment que toutes nos procédures étaient encore sur papier! Et puis, maintenant, ces voyages spatiaux sont beaucoup plus médiatisés. On l’a vu récemment avec l’astronaute français Thomas Pesquet, qui a donné une grande visibilité à son séjour dans la Station spatiale internationale à travers les réseaux sociaux. Nos missions à nous se déroulaient un peu dans le secret. Elles n’étaient pas plus simples, parfois même plus difficiles, parce qu’à l’époque, nous devions accomplir des tâches souvent inédites, alors qu’aujourd’hui, le travail dans la station est relativement balisé. L’esprit de ces vols de navettes était différent: c’était l’aventure! On s’envolait pour de plus courtes durées, mais toujours pour faire des choses assez folles et très pointues. Une autre différence est qu’alors, on avait droit à seulement 20 minutes de communication par semaine avec les membres de notre famille. Maintenant, avec leur téléphone digital, les astronautes peuvent communiquer régulièrement avec leurs proches et amis.»

Le spectacle Claude Nicollier - Un Suisse dans l’espace a lieule vendredi 3 novembre à 20h au SwissTech Convention Center, en présence de l’astronaute et de personnalités qui ont marqué sa vie, dont l’auteur de BD et ami d’enfance Derib, les astronautes Charly Duke et Jean-François Clervoy et l’astrophysicien Michel Mayor. Infos et billetterie: www.swissapollo.ch

Bio express

Citoyen vaudois, Claude Nicollier est né le 2 septembre 1944 à Vevey.

Dès 1966: Pilote de milice dans les Forces aériennes suisses (Hawker Hunter).

1970: Obtient une licence en sciences physiques à l’Université de Lausanne.

De 1970 à 1973: Travaille comme scientifique à l’Institut d’astronomie de l’UNIL et à l’Observatoire de Genève.

1976: Bénéficie d’une bourse spatiale de l’Agence spatiale européenne (ESA).

1978: Sélectionné pour le premier groupe d’astronautes européens.

1980: Rejoint la NASA, tout en restant dans l’ESA pour suivre une formation de spécialiste de mission.

1992: Premier de ses quatre vols spatiaux à bord de la navette spatiale Atlantis (du 31 juillet au 8 août). Les trois autres auront lieu en 1993, 1996 et 1999. Deux d’entre elles avaient pour but d’assurer la maintenance du téléscope Hubble, à 600 km de la Terre.

Dès 2004: Professeur à l’EPFL en génie électrique et électronique. Donne le cours «Space mission design and operations.»