ChatGPT à l'école: ange ou démon?
Passé le choc du débarquement de ChatGPT dans la constellation des outils numériques, l’agent conversationnel s’est rapidement imposé dans de nombreuses pratiques quotidiennes, aussi dans les écoles. L’occasion, presqu’un an après son arrivée avec fracas, de le disséquer avec Francesco Mondada, directeur du Centre LEARN pour les sciences de l’apprentissage de l’EPFL et professeur de robotique.
En quelques mots, de quoi est-il concrètement question quand on parle d’intelligence artificielle?
De façon générale, nous parlons de l’IA en tant qu’émulation de ce que nous pourrions considérer comme intelligence chez les humains. J’emploie les termes émulation ou simulation parce que ces outils donnent une impression d’intelligence, créée artificiellement. Ils font en réalité souvent semblant d’être intelligents. ChatGPT est un exemple parfait, parce qu’il ne sait pas du tout de quoi il parle. En revanche, il émule, et il le fait très bien. Mais la définition d’IA évolue continuellement. Nous considérions par le passé certains outils comme étant de l’intelligence artificielle, alors qu’ils passent aujourd’hui pour des programmes parfaitement standards.
Avec ChatGPT, on parle d’Intelligence artificielle générative. C’est-à-dire?
Il s’agit de l’utilisation de l’IA pour créer des images, des textes, de la musique, etc. L’intelligence artificielle générative existe en réalité depuis bien longtemps. ChatGPT l’a en revanche faite sortir au grand jour. Elle se démarque d’autres façons d’utiliser l’IA, par exemple lorsque cette technologie est utilisée dans le domaine de la reconnaissance d’images, dans la conduite de voiture, etc.
Vous dites «depuis bien longtemps». C’est-à-dire?
Les chatbots par exemple ne sont de loin pas nouveaux. Un des premiers, ELIZA, a été dévelopéé en 1966. La création d’images ou de musique n’est pas nouvelle non plus. ChatGPT, par la quantité de données dont il dispose et le contexte global qu’il arrive à prendre en compte, se situe juste à un autre niveau, bien plus intéressant.
Les réactions ont été vives à l’arrivée de ChatGPT. Pourquoi?
Pour différentes raisons. À commencer par des questionnements concernant l’utilisation des données par ChatGPT. Il est légitime de se demander s’il est éthiquement correct d’aller piocher des informations en libre accès, dont Wikipédia, pour en faire un système commercial payant. D’autre part, ChatGPT remet en question des façons de faire et de penser. Quand vous savez qu’un·e étudiant·e peut utiliser un outil pour rédiger un rapport ou un bout de code en un rien de temps, en utilisant simplement l’outil, il y a des questions à se poser sur la démarche pédagogique. Même si ce n’est en réalité pas nouveau. Beaucoup disent que c’est révolutionnaire, mais ce n’est pas vraiment le cas. On pouvait déjà demander à un copain, un membre de sa famille voire un tiers que l’on rémunère, d’écrire un travail. En revanche, le digital a amplifié ce phénomène, dans la mesure où l’IA facilite et démocratise l’accès à ce type de pratiques. Il a supprimé le petit frein qui existait auparavant et cette accessibilité nous met face à nos propres contradictions et incohérences.
Pouvez-vous citer un exemple?
Prenons le cas de l’affiche PLR créée avec l’aide d’une IA et qui a récemment fait polémique. Sans l’intelligence générative, aurions-nous osé créer cette image? Concrètement, mettre en scène une situation avec une ambulance, des figurants, etc pour la photographier. Probablement qu’aucune agence n’aurait osé ou investit pour le faire. Reste qu’aujourd’hui, la possibilité de générer cela en trois clics existe. Une fois encore, il est question de l’amplification d’un phénomène. Est-ce que la question porte sur l’intelligence artificielle? Non.
N’est-ce pas simplement un réflexe humain que de tester les nouveaux outils et les possibilités qu’ils offrent?
La découverte est une chose. L’utilisation à des fins professionnelles en est une autre. Il est aussi question de responsabilité. Ce qui me choque, c’est le fait de se décharger de sa responsabilité sur l’intelligence artificielle. On dit que c’est une révolution et que «ça change tout». C’est faux. Nous devions déjà faire face à ces problèmes avant et nous les résolvions. Autrement peut-être. Comparons cela au harcèlement. Le cyberharcèlement a multiplié un phénomène par un facteur parfaitement inacceptable. Ce qui pouvait être marginal ou localisé est passé à une autre échelle. Il est alors évident que nous devons y faire face beaucoup plus sérieusement. Mais je trouve étonnant d’oublier que le phénomène d’origine existait déjà et que nous avions des mécanismes pour lutter contre. En analysant certaines situations sous le prisme de l’éthique, force est de constater que nous ne nous livrions pas à certaines pratiques dont les limites sont aujourd’hui plus facilement transgressées.
Pourquoi ChatGPT fait-il office de «grand méchant loup», contrairement à d’autres outils intelligents que nous utilisons pourtant plus fréquemment, aussi dans le cadre scolaire? Par exemple les traducteurs en ligne, les correcteurs orthographiques, ou simplement les calculatrices.
Les réactions autour de l’arrivée des calculatrices ou de ChatGPT dans les écoles sont passablement similaires. De la même manière qu’on entend dire que les élèves ne sauront plus rédiger un texte ou un rapport, on pouvait entendre que les élèves n’apprendraient plus à calculer. Mais entre-temps, un équilibre a été trouvé entre l’apprentissage du calcul, les bases nécessaires et l’utilité de la calculatrice pour aller au-delà. Avec ChatGPT, nous naviguons en eaux similaires. Il y a en effet eu moins de débat autour des traducteurs automatiques, alors que les mêmes questions devraient se poser, en termes d’apprentissage des langues, des règles linguistiques et de l’utilisation qu’en font les élèves. Mon impression est que les traducteurs sont arrivés de façon plus sournoise, plus progressive, que les calculatrices ou ChatGPT, et qu’on sous-estime leur efficacité.
Le cap de la «peur», de la méfiance, est aujourd’hui dépassé, ce que vous avez constaté à travers une enquête consacrée à ChatGPT en début d’année. Quel en était le point de départ et, dans les grandes lignes, quelles sont les conclusions?
De nombreuses personnes criaient au loup, mais personne n’est allé sonder le corps enseignant de façon sérieuse, scientifique, pour savoir quelle attitude adoptait cette catégorie professionnelle face à ChatGPT. L’enquête, menée entre fin février et mi-mars, a montré que les enseignant·es ont davantage le souhait d’utiliser ChatGPT, d’en faire quelque chose, qu’ils ne le craignent. Cela même si l’outil remet passablement de choses en question en termes d’enseignement et d’évaluation de l’apprentissage. Ce constat est très intéressant. Il souligne une attitude bien plus positive et réflexive que certains discours largement répandus ne le laissaient entendre.
La crainte est présente, mais en second plan. Ce résultat vous étonne-t-il?
J’en suis ravi, d’autant que les discours qu’on entendait étaient assez alarmistes. L’école n’a pas peur. Au contraire, elle prend la chose au sérieux, sans adopter une posture de rejet, même si une minorité estime que ChatGPT devrait être interdit.
Cela indique une acceptation de l’outil et son potentiel pour l’enseignement. Lequel?
J’utilise moi-même ChatGPT pour établir des questions ou pour explorer de nouvelles idées d’exercices, dans la mesure où nous brassons souvent les mêmes sujets. Avec la quantité de données sur lesquelles il se base, ChatGPT permet aussi de trouver des informations bien moins faciles à atteindre en utilisant des outils de recherche moins évolués. Je me suis aussi amusé à lui demander quelles questions j’étais susceptible de poser lors d’un examen et ses réponses étaient plutôt convaincantes. Ce qui me permet de sortir de mes standards. Comme ChatGPT se base largement sur les tendances, le «mainstream», disposer de ces informations nous permet de nous écarter des sentiers battus. Il est en revanche évident que la donne est différente selon les disciplines. En informatique par exemple, ChatGPT peut vous aider considérablement. Mais j’ai cru comprendre que l’outil était bien moins efficace pour la chimie, par exemple. C’est un outil destiné à émuler, pas à réfléchir. Raison pour laquelle il faut savoir ce qu’il est, comment il fonctionne pour ensuite savoir ce qu’il permet de faire. Ce que nous sommes toutes et tous en train d’apprendre.
Et du côté des élèves?
Les élèves doivent se préparer au monde professionnel qui les attend. Et le monde de demain utilisera ces outils au quotidien. Le défi consiste à les confronter à ces outils, mais de façon critique et constructive. De les présenter et de les utiliser pour aller plus loin, pas pour en faire moins.
C’est la question de la délégation. Ce que l’humain réalise encore et ce que l’on laisse à la machine.
Exactement. Et la paresse de réflexion est une tendance qui peut facilement se développer avec un outil de ce type. Le raisonnement devrait être le même par exemple avec les traducteurs automatiques. Savoir ce qu’ils permettent «d’économiser» et, au contraire, ce qui est important de réaliser soi-même, ce qui nous appartient de façon intrinsèque. Ma vie à moi, c’est toujours moi qui la vis, et je ne vais pas la déléguer. Faire ses choix, éclairés, est un sacré défi. Savoir quelle partie de sa vie on souhaite déléguer, ou pas. C’est sur cette base que nous avons développé, dans le cadre du projet d’éducation numérique vaudois et avec des collègues sociologues, un modèle de réflexion qui s’applique à tout le digital, dont ChatGPT. Pour aider à se poser les bonnes questions. Pour aider à faire face à ChatGPT, autant qu’à tous ces outils déjà disponibles, en train de sortir ou qui feront leur apparition immanquablement dans le futur.
Vous avez vous-même récemment permis l’utilisation de ChatGPT dans le cadre d’un examen. Pourquoi et quelles conclusions en tirez-vous?
Il s’agissait d’un examen à faire à la maison. Je trouvais dès lors très peu logique d’interdire l’utilisation d’un nouvel outil. Et en termes de curiosité scientifique, je voulais aussi comprendre comment, en cas d’utilisation, les étudiant·es allaient s’en servir. Les conclusions que j’en ai tiré sont déjà probablement obsolètes. Dans le cadre de cet examen, j’ai pu constater que celles et ceux ayant bien préparé leur matière n'ont pas jugé utile perdre de temps avec ChatGPT et qu’en général, ils ont obtenu de meilleures notes. Je pense toutefois que cela témoigne en réalité d’une bonne confiance, ou non, dans la connaissance de la matière d’examen. Dans ce cas de figure, le recours à ChatGPT montrait surtout qui était sûr de lui ou non.
Même si l’approche à l’égard de ces outils devient plus positive, ils restent une préoccupation pour le corps ensignant. La formation est-elle donc la clé?
Les enseignant·es sont souvent sous l’eau et n’ont pas le temps de se former tout le temps. Nous devons évidemment leur fournir des outils et proposer des formations. Mais à la vitesse à laquelle évoluent les outils tels que ChatGPT et le temps que prennent parfois les formations, force est de constater qu’il y a un problème. Nous devons trouver des solutions pour ne pas cesser de former les enseignant·es, en continu et de la façon la plus efficace possible sur les sujets qui touchent de façon générale au numérique. Ce qui pose des questions nombreuses et complexes, en termes de formats, de quantité de matière et de pertinence selon les disciplines. Un enjeu plus facile à relever, sur lequel nous travaillons déjà, est la formation sur les connaissances de base en sciences informatiques.
Il y a pourtant des réticences. Comment expliquer aujourd’hui encore les débats autour de l’éducation au numérique?
Les enquêtes montrent que les enseignant·es demandent des formations. La question n’est donc plus de savoir s’ils en veulent ou non. Une fois dotés d’éléments qui leur permettent d’aller de l’avant, les enseignant·es deviennent bien moins réticents et au contraire bien plus intéressés, à comprendre, à utiliser et à exploiter les potentiels du numérique. L’enquête que nous avons menée sur ChatGPT en est la énième confirmation. Mais pour que le numérique soit utile à l’école, beaucoup de facteurs doivent être pris en compte. La formation du corps enseignant n’en est en réalité qu’un seul. Penchent aussi dans la balance les outils, les infrastructures, le support technique, la volonté politique, etc. Vous pouvez faire toutes les formations que vous voulez, mais si votre wifi est constamment en panne ou que vous n’avez pas accès aux applications sur votre machine, ça ne va pas marcher. Il suffit parfois qu’une seule des conditions tombe pour que l’ensemble du système, bien plus complexe à traiter qu’un tableau noir et une craie, s’écroule.
En grossissant un peu le trait, peut-on considérer qu’il s’agit simplement d’un schéma qui se répète?
D’une certaine manière, oui. Mais l’amplification de certains phénomènes, qui abordent des questions fondamentales, sur des sujets ayant un impact de plus en plus important, est bien réelle. Avec la calculatrice, les enjeux n’étaient pas énormes. Aujourd’hui, avec ChatGPT, ils le sont bien davantage. Un outil de ce type pose de réelles questions en termes de responsabilité, d’éthique, voire même d’écologie. Si le mécanisme de base, les réticences ou le rejet initial, est certes le même, il y a néanmoins une véritable évolution du cadre et des implications des outils dans nos vies de tous les jours.
Le texte discute de l'impact de ChatGPT (un agent conversationnel basé sur l'intelligence artificielle) dans le domaine de l'éducation. L'auteur, Francesco Mondada, directeur du Centre LEARN pour les sciences de l'apprentissage de l'EPFL et professeur de robotique, analyse différents aspects de l'IA et de ChatGPT en particulier. Voici les points clés:
- L'IA est souvent une émulation de l'intelligence humaine, créée artificiellement pour donner l'impression d'intelligence
- ChatGPT est un exemple d'IA générative, capable de créer des textes, des images, etc.
- Les réactions à ChatGPT dans l'éducation ont été variées, soulevant des questions sur l'éthique de son utilisation et sur les changements dans les méthodes d'enseignement
- L'IA générative existe depuis longtemps, mais ChatGPT a attiré l'attention sur son potentiel et ses implications
- L'utilisation de ChatGPT a été comparée à l'utilisation de calculatrices et de traducteurs en ligne, mais avec des réactions plus intenses et des implications plus profondes
- Les enseignants ont montré une attitude plus positive envers ChatGPT que prévu, montrant un intérêt à l'utiliser de manière constructive
- L'utilisation de ChatGPT dans les examens a été explorée, montrant que les étudiants bien préparés l'ont moins utilisé et ont généralement obtenu de meilleures notes
- La formation des enseignants sur l'utilisation des outils numériques est cruciale, mais elle doit être soutenue par des infrastructures et des ressources adéquates
- Les enjeux liés à l'éducation numérique sont complexes et nécessitent une prise en compte de plusieurs facteurs tels que les outils, l'infrastructure et la volonté politique
En résumé, le texte examine les impacts de ChatGPT dans le domaine éducatif, en explorant les réactions des enseignants et des élèves, les défis de la formation et de l'intégration des nouvelles technologies, ainsi que les implications éthiques et pédagogiques plus larges.
L'utilisation de ChatGPT en éducation peut comporter plusieurs dangers potentiels:
- Perte des compétences essentielles: Si les étudiants s'appuient trop sur ChatGPT pour produire du contenu, ils pourraient perdre la capacité de penser de manière critique, de résoudre des problèmes et de développer leurs propres compétences en écriture et en recherche
- Plagiat et manque d'originalité: Si ChatGPT est utilisé sans discernement, il pourrait encourager le plagiat en permettant aux étudiants de copier-coller du contenu généré, entraînant ainsi un manque d'originalité et d'efforts personnels
- Détérioration des compétences linguistiques: Si les étudiants dépendent de ChatGPT pour la rédaction, leurs compétences linguistiques et leur capacité à communiquer de manière efficace pourraient se détériorer, car ils n'apprendraient pas à améliorer leurs compétences d'expression et de communication
- Délitement de l'apprentissage: L'utilisation excessive de ChatGPT pour obtenir rapidement des réponses pourrait entraîner un appauvrissement de l'apprentissage authentique, où les élèves doivent investir du temps et des efforts pour comprendre et assimiler les connaissances
- Dépendance technologique: Si les éducateurs n'encouragent pas une utilisation responsable et réfléchie de ChatGPT, les élèves pourraient développer une dépendance excessive à la technologie pour résoudre des problèmes et obtenir des informations
- Fausse information et biais: ChatGPT peut générer du contenu à partir de données existantes, y compris des informations incorrectes ou biaisées. Si les élèves ne sont pas conscients de cela, ils pourraient adopter des idées erronées
- Manque d'interaction humaine: L'utilisation excessive d'outils comme ChatGPT pourrait réduire les interactions entre enseignants et élèves ainsi que les interactions entre pairs, ce qui est important pour le développement social et émotionnel des élèves
- Éthique et responsabilité: L'utilisation de ChatGPT soulève des questions éthiques, notamment en ce qui concerne le plagiat, la provenance des données et la manière dont elles sont utilisées pour générer du contenu
- Inégalités: Les élèves n'ayant pas un accès égal à la technologie pourraient être désavantagés si l'utilisation de ChatGPT devient courante dans l'enseignement
- Dénaturation de l'évaluation: Si les étudiants utilisent ChatGPT pour répondre à des questions d'évaluation, cela pourrait fausser les résultats et ne pas refléter véritablement leurs compétences et leur compréhension
Il est important que les éducateurs et les élèves abordent l'utilisation de ChatGPT de manière réfléchie, en considérant à la fois ses avantages et ses dangers potentiels, et en veillant à promouvoir une utilisation responsable et équilibrée de cette technologie dans le contexte éducatif.