Champ magnétique: des effets biologiques confirmés
Depuis longtemps, on soupçonne les champs électriques et magnétiques d’avoir des effets biologiques sur les êtres vivants, mais aucun des multiples tests conduits jusqu’à présent sur les humains et les animaux n’ont donné de réponse définitive sur la question. C’est la raison pour laquelle les scientifiques de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), de l’Université de Lausanne (UNIL) et du Politecnico di Torino se sont penchés sur un être vivant nettement moins complexe: une petite mousse dont ils connaissent tous les secrets génétiques. La Physcomitrella Patens éclaire la lanterne des chercheurs qui avancent néanmoins avec précaution, se gardant de toutes conclusions hâtives.
La fée électricité ne fait pas que des heureux. Au voisinage des pylônes à haute tension, des émetteurs TV et radio, des antennes-relais pour téléphones portables, certaines personnes ne se sentent pas à leur aise, craignent pour leur santé ou pour l’environnement ou font état de troubles qu’elles imputent aux installations en question... Est-ce là l’expression d’une peur aussi irrationnelle qu’injustifiée ou les champs électromagnétiques provoquent-ils réellement des effets nocifs sur les êtres vivants? «Un grand nombre de publications ont traité le sujet sans l’épuiser, expliquent en substance les professeurs Jean-Pierre Zrÿd, du Laboratoire de phytogénétique cellulaire de l’Université de Lausanne, et Michel Ianoz, du Laboratoire de réseaux d’énergie électrique (LRE) de l’EPFL. Les expériences menées sur les animaux et sur les humains, tant en laboratoire qu’en conditions de vie réelle, n’ont jamais apporté de preuve définitive, trop de facteurs entrant en jeu pour permettre une évaluation vraiment fiable. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers un organisme nettement plus simple que l’homme et l’animal, un végétal dont les biologistes connaissent la croissance, le comportement et le génome. Bref un organisme modèle.»
La piste était d’autant plus intéressante que l’influence des champs sur les végétaux a été peu étudiée jusqu’ici.
La Physcomitrella Patens, que l’on retrouve chaque printemps dans les champs cultivés, a changé de logis pour les besoins de l’expérience. Grâce à un soutien pour la recherche obtenu auprès de l’Electricité Romande, des plants de mousse ont été élevés dans des boîtes en plastique et exposés à un champ magnétique à fréquence industrielle, soit 50 Hz, la fréquence de courant que l’on retrouve dans les lignes de transport de l’énergie électrique. «Le champ magnétique, explique le Dr Pierre Zweiacker du LRE, est obtenu par des bobines qui assurent un champ très constant. On les place dans une chambre blindée afin d’éviter tout autre influence externe de champs à plus haute fréquence qui viendrait perturber les résultats de l’expérience. Les plants de mousse sont exposés, toujours sous la même fréquence, à des champs magnétiques de différents niveaux (de 0,6 à 1,2 mT)».
Après une année de tests, le comportement des colonies testées est assez clair: les scientifiques ont constaté un arrêt de la croissance de la mousse, mais seulement à partir d’un niveau relativement élevé du champ magnétique, soit 10 fois plus élevé que la limite imposée, pour la population, par l’International Commission for Non Ionizing Radiation Protection (ICNIRP), et fixée à 0,1 mT.
«Mais on a déjà remarqué, explique le professeur Jean-Pierre Zrÿd, quelques signes de ralentissement de la croissance à un niveau cinq fois supérieur à la norme autorisée pour tout un chacun, soit 0,5 mT, niveau plafond auquel peuvent être exposés les travailleurs dans les réseaux électriques. Des signes qui nous empêchent de parler véritablement d’effet de seuil.»
Les résultats obtenus par les chercheurs grâce à ces essais qui se poursuivent depuis deux ans ont été confirmés par une approche fondée sur les statistiques.
Radioactivité et champ magnétique: attention aux confusions!
Mais comme en science rien n’est simple, biologistes et ingénieurs s’empressent de préciser que l’on ne peut pas faire d’extrapolation à partir de ces résultats. Autre plante, autres mœurs: les plantules de tabac, traitées au même régime que la mousse du laboratoire, n’ont pas donné de signe de réaction, alors que ces jeunes plantes ont manifesté une grande sensibilité face aux effets résiduels de Tchernobyl. « Cette remarque mérite d’être faite, souligne le Prof. Ianoz, dans la mesure où, dans le grand public, on a tendance à confondre les mécanismes biologiques ionisants et non ionisants. Radioactivité et champs magnétiques ne participent pas du même phénomène : dans le premier cas, il y a libération de protons et cassure d’atomes, dans le second il y a peut-être des effets au niveau cellulaire mais pas d’effets nucléaires.»
Quoi qu’il en soit, chers aux poètes surréalistes, les champs magnétiques ne sauraient livrer si aisément leurs secrets. «On constate des effets biologiques sur la mousse, certes, mais on n’en connaît pas les raisons. Nous pouvons mesurer les effets des facteurs qui interviennent, mais nous ne savons pas quels sont ces facteurs. C’est en poursuivant notre étude sur des organismes relativement simples que nous espérons les mettre à jour».
Prochain acteur à recevoir les honneurs du laboratoire, le dénommé Caenorhabditis elegans, vermisseau de son état, permettra peut-être de percer plus avant la part d’inconnu qui demeure dans les champs magnétiques, côté effets biologiques.