«Ce qui se passe avant et après est aussi important que le cours»

Selman Sakar, meilleur enseignant 2023 de la section de génie mécanique de l’EPFL - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Selman Sakar, meilleur enseignant 2023 de la section de génie mécanique de l’EPFL - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Son éducation le destinait à devenir médecin, chercheur ou enseignant. Selman Sakar est parvenu à combiner les trois. Selon le meilleur enseignant 2023 de la section de génie mécanique de l’EPFL, la science est avant tout une manière de contribuer à rendre le monde meilleur. Il n’en attend pas moins de ses étudiantes et étudiants.

S’il fallait élire une personne capable à elle seule de tordre le cou au cliché du scientifique focalisé sur sa recherche, le nez collé à son microscope ou à son écran d’ordinateur, Selman Sakar serait le candidat idéal. De l’avis du responsable du MicroBioRobotic Systems Laboratory (MICROBS) de l’EPFL, la science doit avant tout «être un lieu de pensée, d’échange». Quant aux chercheuses et aux chercheurs, «ils ne devraient jamais perdre de vue la ‘big picture’, à savoir leur contribution potentielle à un monde meilleur».

Son sens de la morale et sa capacité à voir plus loin que le bout des minuscules robots qui peuplent son laboratoire, le meilleur enseignant 2023 de la section de génie mécanique les doit en partie à son éducation. «J’ai grandi en Turquie, dans une famille musulmane dévouée.» Dans le salon des Sakar, deux grands thèmes étaient discutés sans relâche, «la question du sens et celle de l’interprétation», rapporte le professeur associé. Pour coller aux idéaux familiaux, pas question d’envisager une carrière dans l’industrie. «Il fallait devenir enseignant, chercheur ou médecin.» Au fond, «ce que je fais actuellement me permet de combiner les trois.»

Selman Sakar marque un temps de réflexion. «Peut-être ai-je été chargé d’une mission dès l’enfance, celle de partir faire un doctorat à l’étranger (en l’occurrence à l’Université de Pennsylvanie), de montrer à d’autres personnes issues du même milieu que c’est tout à fait possible, bref, de les inspirer.» Et de contribuer, dans la foulée, à un monde académique davantage inclusif. Il poursuit: «Une fois qu’on ôte les barrières mentales qui empêchent de mener à bien des projets concrets, on crée de la place pour des questions autrement plus importantes et existentielles du type ‘Qu’est-ce qu’il me faut pour être accompli?’.»

Plusieurs manières de faire comprendre

C’est également dans son enfance que sont nées les affinités du responsable du MICROBS pour l’enseignement. «Dans la classe que je fréquentais à l’école obligatoire, nous étions trois élèves par pupitre; lorsque mes voisins de pupitre avaient des difficultés avec la matière, je leur donnais volontiers un coup de main.» Rapidement, le jeune Selman réalise que si certains de ses camarades peinent à suivre en cours, c’est que la logique de l’enseignant ne leur correspond pas. «J’essayais alors de trouver une façon radicalement différente de leur faire comprendre.»

Près de trois décennies plus tard, le professeur de l’EPFL applique toujours la même méthode. «Lorsque je prépare un enseignement, je me demande toujours quelles sont les différentes manières possibles de transmettre la matière.» Il précise en souriant: «Étant donné que chaque semestre, je me retrouve face à plusieurs centaines d’étudiants différents, les possibilités de variation sont infinies!» On l’aura compris, Selman Sakar ne fait pas partie de ces enseignants qui recrachent, tels des automates, le même cours chaque année. Bien au contraire, il prend un malin plaisir à revoir sa copie de fond en comble. Un investissement en temps – et en matière grise – qui en vaut largement la peine: «Cela m’oblige à rester au courant des études les plus actuelles dans mon domaine, ce qui, par ricochet, profite à ma recherche.»

L’investissement de cet expert international de la micro et de la nanorobotique ne se limite pas à la préparation des enseignements. Convaincu que «ce qui se passe avant et après les cours est presque aussi important que les cours eux-mêmes», il a adopté une approche résolument «bottom up», qui implique de passer autant de temps que possible avec les étudiants afin de bien cerner leurs besoins. Et, in fine, de «les aider à comprendre comment ils peuvent utiliser au mieux ce qu’ils apprennent à l’EPFL pour améliorer la société dans laquelle ils vivent». Dans le même ordre d’idées, Selman Sakar ne se lasse pas de discuter avec ses étudiants du sens de leurs études, «de faire la connexion avec la ‘big picture’». Avec pour corollaire un degré d’acceptation plus important des éléments les plus secs, techniques et ardus des cours.

Développer l’esprit critique

Autre aspect que le professeur a particulièrement à cœur: éviter de perdre des étudiants en route, tout particulièrement ceux de niveau bachelor. «Chaque cours commence par un récapitulatif de la matière et par une ouverture sur la suite.» Par ailleurs, «je leur dis régulièrement où ils devraient en être de leur apprentissage et les encourage à venir me parler s’ils sentent qu’ils sont en train de décrocher». Selman Sakar constate que «souvent, le diagnostic – c’est-à-dire repérer exactement où les jeunes se sont perdus – est plus important que le traitement». L’un des moyens les plus efficaces de les aider consiste alors à les renvoyer vers des assistants, «qui sont plus proches que moi des besoins et de la réalité des étudiants».

Au niveau master, l’enseignant a décidé d’adopter une approche pédagogique résolument originale. Le domaine de la micro et de la nanorobotique étant relativement jeune, «il n’existe que peu de manuels sur lesquels je pourrais m’appuyer». Par contre, «des articles portant sur des recherches prometteuses sont publiés presque chaque semaine». Selman Sakar a par conséquent opté pour une méthode axée sur le développement de l’esprit critique de ses étudiants. «Ils sont répartis en petits groupes au début du cours; chaque groupe se voit attribuer un article scientifique portant sur un aspect étudié en classe, qu’il devra présenter ultérieurement.» Les étudiants des autres groupes ont alors pour mission de poser des questions critiques, qui doivent être prises en compte lors de la présentation. Un modus operandi qui permet «à la fois de se familiariser avec le travail scientifique, le travail en groupe et le travail de déduction».

Explosion du nombre d’étudiants

Titularisé en été 2023 en tant que professeur associé, Selman Sakar se réjouit d’avoir désormais «davantage de temps à consacrer à l’amélioration de mes cours». Et d’avoir l’esprit plus libre pour aborder l’un des principaux défis qu’il rencontre en tant qu’enseignant: faire face à l’explosion du nombre d’étudiants, qui est passé d’environ 175 à ses débuts en 2016 à près de 300 actuellement. «Dans ce contexte, comment continuer à proposer un enseignement à la fois efficace et individualisé?»


Auteur: Patricia Michaud

Source: People

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