Caractériser plusieurs milliers de molécules en un clin d'œil

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Des équipes de l’EPFL ont mis au point une nouvelle technique d’imagerie qui permet de caractériser plusieurs milliers de molécules simultanément et rapidement grâce à une caméra à photon unique.

Inspirée d’un concept vieux de 35 ans, une nouvelle technique d’imagerie ultraprécise permet de capturer la signature lumineuse temporelle de chaque molécule, à l’échelle du milliardième de seconde. Optimisée grâce à une caméra SPAD faite de près d’un millier de minuscules détecteurs capables de capter chacun un photon, cette méthode est basée sur le temps de vie de la fluorescence – le bref délai entre une impulsion laser et l’émission lumineuse par la molécule. Grâce à cet intervalle, les scientifiques peuvent caractériser les espèces moléculaires avec une précision inédite. Ce dispositif, mis au point par le Laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique (LBEN) en collaboration avec le Laboratoire d'architecture quantique avancée (AQUA) et en utilisant une caméra développée par le spin-off PI Imaging Technology, ouvre la voie à une imagerie adaptée à l’étude du comportement de molécules individuelles sur de larges échantillons.

Analyses rapides de grandes populations de protéines

Contrairement à une image classique, chaque détection est associée à un instant très précis suivant l’excitation, avec une résolution de l’ordre de la picoseconde. La technique mise au point consiste en une alternance d’instantanés capturés juste après l’excitation lumineuse par le laser et d’instantanés capturés après quelques nanosecondes, permettant après analyse de déduire le temps de vie fluorescent de chaque molécule. Résultat: en moins d’une minute, grâce aux diodes à avalanche de photons uniques, les SPADS, il est possible d’obtenir des statistiques précises sur des milliers de molécules, alors qu’il fallait près d’une heure jusqu’ici. «La précision est légèrement inférieure qu’avec les méthodes classiques, mais la rapidité et le nombre de molécules analysées en parallèle sont inégalés», explique Aleksandra Radenovic, professeure au LBEN. Ce gain de temps ouvre la voie à des analyses rapides de grandes populations de protéines.

Un échange de compétences essentiel entre les laboratoires

«Ce projet, soutenu par le Centre d’imagerie de l’EPFL et par un Programme national de recherche de la Confédération, est le fruit d’une convergence technologique opportune», souligne Aleksandra Radenovic. «Nous collaborons avec le laboratoire AQUA depuis plus de dix ans, maisces financements ont donné l’impulsion nécessaire à transformer des idées en résultats concrets.»

Une collaboration étroite a été nécessaire entre les spécialistes de la détection de molécules uniques et les développeurs de la caméra. «Par exemple, la fréquence d’acquisition de la caméra ne correspondait pas exactement au rythme du laser qui éclaire l’échantillon. Nos collègues d’AQUA, ainsi que les ingénieurs du spin-off ont été très réactifs pour adapter le système», précise Nathan Ronceray, chercheur au LBEN. Les résultats prometteurs de cette étude pourraient également avoir des retombées positives sur la start-up, puisque le succès d’un dispositif sur un marché de niche repose souvent sur des collaborations réussies avec des laboratoires de recherche. «Nous avons également collaboré avec le Laboratoire de modélisation biomoléculaire de Matteo Dal Peraro à l’EPFL et celui de Guillermo Acuna à l’Université de Fribourg, qui travaillent respectivement sur les protéines membranaires et les origamis d’ADN.»

Localiser rapidement la position des molécules par rapport aux autres

Une fois leur outil optimisé pour mesurer efficacement les temps de vie de la fluorescence, les chercheurs du LBEN l’ont utilisé pour explorer une autre application: la détection de proximité entre molécules. Ils ont mis en œuvre une méthode basée sur le transfert d’énergie par résonance de fluorescence (FRET), qui modifie le temps de vie de fluorescence d’une molécule «donneuse» si une autre molécule «accepteuse» est proche.

«La mesure précise du temps de vie fluorescent d’une paire de molécules fournit une information sur leur proximité à l’échelle de quelques nanomètres seulement», explique Nathan Ronceray. «Notre dispositif permet d'étendre cette méthode, actuellement limitée à de petits échantillons, à l’étude rapide de phénomènes dynamiques sur des milliers de molécules.»

Les résultats obtenus par l'équipe de scientifiques ouvrent de nouvelles possibilités dans de nombreux domaines de la science et de la technologie. «Comme pour toute technique, il est difficile de prédire son plein potentiel: ce dernier ne sera probablement limité que par l'imagination », souligne Aleksandra Radenovic. «Une direction prometteuse est son potentiel d'amélioration des analyses multiplexées, c’est-à-dire pour mesurer simultanément plusieurs paramètres dans un seul échantillon. Il sera probablement utile dans des domaines tels que la transcriptomique spatiale, qui vise à mesurer l'expression des gènesdans untissutout enpréservant l'information spatiale: l'emplacement exact des cellules ou des structures dans le tissu.» En permettant la lecture simultanée de nombreuses espèces moléculaires tout au long de la vie, la méthode pourrait servir de complément puissant aux outils omiques à haute résolution émergents, utilisés pour étudier de manière globale et systématique les différentes couches biologiques d’un organisme, souvent à l’échelle cellulaire ou moléculaire.

Références

Wide-field fluorescence lifetime imaging of singlemolecules with a gated single-photon camera. Nathan Ronceray, Salim Bennani, Marianna Fanouria Mitsioni, Nicole Siegel, Maria J. Marcaida, Claudio Bruschini, Edoardo Charbon, Rahul Roy, Matteo Dal Peraro, Guillermo P. Acuna and Aleksandra Radenovic. Science & Applications (2025). DOI: 10.1038/s41377-025-01901-2