Cancer – des chercheurs décryptent l'immortalité cellulaire

A l'extrémité des chromosomes, des télomères apparaisent en blanc© National Institutes of Health

A l'extrémité des chromosomes, des télomères apparaisent en blanc© National Institutes of Health

Les cellules cancéreuses sont programmées pour se diviser à l’infini, sans jamais mourir. Des chercheurs de l’EPFL ont fait la lumière sur un élément de ce mécanisme essentiel à la formation de la plupart des tumeurs.

Dans chacune de nos cellules, un compte à rebours est lancé. Toutes sont programmées pour mourir après un certain nombre de divisions. Cette horloge interne intéresse de près les oncologues. En effet, ses défaillances sont à l’origine de la très grande majorité des cancers – les cellules deviennent immortelles et se divisent à l’infini. Des chercheurs de l’EPFL ont compris comment, dans les tumeurs, le mécanisme se régulait. Publiée dans Nature le 4 juillet 2012 et signée par Liuh-Yow Chen, du laboratoire de Joachim Lingner, cette découverte permet notamment d’identifier des cibles potentielles pour de futurs médicaments.

Ce mécanisme, responsable de la formation des cancers, revêt une fonction essentielle dans les premiers mois de l’embryon. Aux extrémités de chaque chromosome se forme une chaîne d’ADN - le télomère – par le biais d’une enzyme appelée télomérase. Cette séquence représente le capital de vie de nos cellules. A chaque division, elle est raccourcie, et lorsqu’elle est épuisée, la cellule meurt. Cette réserve permet d’assurer environ 60 divisions pour la plupart des cellules: un capital suffisant pour nous assurer une vie longue et heureuse.

L’immortalité cellulaire, un dénominateur commun du cancer
Normalement, nos cellules ne fabriquent plus de télomérase après l’embryogenèse – à l’exception des cellules souches . Mais il peut arriver qu’un gène mute et en réactive la production. Lors de la division cellulaire, le télomère est rallongé. C’est cela même qui confère l’immortalité des cellules cancéreuses.

«Cette mutation seule ne suffit pas à provoquer le cancer, explique Joachim Lingner, co-auteur de l’étude. Mais elle est indispensable à la formation de 90% des cancers connus, en conférant l’immortalité à la cellule.» En ciblant ce mécanisme, connu depuis les années 90, de nombreuses équipes scientifiques du monde entier espèrent pouvoir stopper la croissance infinie des cellules cancéreuses.

Or, même dans une cellule cancéreuse, le télomère ne croît pas indéfiniment. A chaque division, il perd environ 60 nucléotides (unités de bases de l’ADN) comme dans la plupart des cellules, et en gagne plus ou moins autant à cause de l’action de la télomérase. L’horloge interne est remise à zéro - la cellule devient virtuellement immortelle.

Trois protéines pour stopper le processus
Pourquoi dans les cellules cancéreuses le télomère ne se rallonge-t-il pas à l’infini? Les chercheurs de l’EPFL sont parvenus à répondre à cette question, en identifiant les responsables: trois protéines, qui s’assemblent les unes aux autres, et viennent se coller sur le télomère. Un peu comme un couvercle, ces protéines empêchent la télomérase de faire son travail. Mais trop tard, hélas.

«Si nous pouvions faire en sorte que ces trois protéines interviennent plus tôt, ou si nous pouvions recréer un mécanisme similaire, alors la cellule cancéreuse ne serait plus immortelle», explique Joachim Lingner. Les cellules cancéreuses finiraient par mourir d’elles-mêmes. Pour autant, les perspectives thérapeutiques restent lointaines, insiste le scientifique. «Notre travail permet effectivement d’identifier des cibles potentielles – par exemple, une protéine secondaire, à laquelle s’accrochent également les trois protéines dont nous avons découvert le rôle. Mais pour l’heure, il s’agit avant tout de science fondamentale.»

  • Cette recherche s’inscrit dans le cadre du pôle de recherche national Frontiers in genetics. Les pôles de recherche nationaux sont une initiative du gouvernement suisse, dans le but de stimuler la recherche et la formation dans des secteurs clé. http://www.frontiers-in-genetics.org