Calculer le bilan CO2 des biocarburants ne suffit pas

Stockage d’huile végétale dans une bioraffinerie. © iStock© iStock Photos

Stockage d’huile végétale dans une bioraffinerie. © iStock© iStock Photos

Une régulation européenne prévoit de limiter dès 2021 plus sévèrement le bilan carbone des biocarburants. Un chercheur de l’EPFL veut aller plus loin en soulignant l’importance de considérer tous les produits d’une bioraffinerie pour atteindre cet objectif. Il délivre un modèle pour y parvenir.

«Dans cette étude, nous souhaitons montrer que nous ne pouvons pas nous contenter uniquement d’évaluer les performances énergétiques des biocarburants, mais que seule la prise en compte de chaque coproduit fabriqué par une bioraffinerie est cohérente», explique Edgard Gnansounou. Professeur et directeur du Groupe de recherche en bioénergie et planification énergétique de l’EPFL, il propose un modèle mathématique allant en ce sens dans un article paru dans Bioresource Technology.

Les biocarburants et les produits dérivés de la biomasse sont l’une des solutions avancées pour remplacer les énergies fossiles. Toutefois, pour être compétitifs sur le plan environnemental, leur bilan carbone doit respecter certaines normes. L’Union européenne a ainsi indiqué dans un projet de loi que les émissions de bioéthanol, issu de la fermentation de la biomasse, devraient être de 70% inférieures à leur équivalent fossile dès janvier 2021. En Suisse, depuis le 1er août 2016, la loi indique que les émissions de gaz à effet de serre des biocarburants doivent être au minimum de 40% inférieures à celles de l'essence fossile. Or, le bilan énergétique d’un biocarburant est encore complexe à dresser. Il comprend non seulement la production de la matière première, mais aussi sa transformation. Il se calcule donc, par exemple, de la culture de la canne à sucre à sa récolte, puis de son acheminement à la bioraffinerie, jusqu’à sa transformation. Des produits chimiques et des compléments alimentaires sont aussi fabriqués lors de cette transformation mais aucun modèle ne permet d’en analyser le cycle de vie et de trouver des résultats uniques.

Casse-tête
Le calcul de l’ensemble de ces émissions de gaz à effet de serre et leur répartition entre coproduits restent donc un casse-tête, notamment en raison des nombreux paramètres en jeu. Pas de quoi toutefois effrayer Edgard Gnansounou qui, après cinq ans de recherche, délivre un modèle mathématique permettant d’intégrer toutes ces données: «Je propose de résoudre le problème de répartition des émissions de gaz à effet de serre entre coproduits en mettant des exigences environnementales sur chaque coproduit d’une bioraffinerie. Ceci permet ensuite de les comparer à leur équivalent en énergie fossile et d’assurer à la bioraffinerie les incitations nécessaires à sa viabilité économique.»

Ce modèle est destiné aux bioraffineries dites de deuxième génération, encore en phase d’industrialisation. On en dénombre cinq dans le monde. Ces bioraffineries ont l’avantage de ne pas traiter de matières premières qui entrent en compétition avec l’alimentation, mais des résidus agricoles, à l’exemple de la paille de blé, et des résidus forestiers. Dans le cas de la paille, l’étude de cas traitée par le chercheur, il faut tenir compte des épis de blés, qui seront traités ailleurs pour l’alimentation, et des sous-produits issus de ses tiges, que fabriquera la bioraffinerie: du bioéthanol pour le carburant, du biogaz pour le chauffage, de l’électricité et, enfin, du phénol pour l’industrie chimique. En amont, il faut également tenir compte de l’usage d’engrais et de machines agricoles lors de la culture du blé et si le champ a subi un changement d’affectation. Une fois que l’on obtient ce chiffre, il faut le répartir entre les coproduits de la bioraffinerie. Le modèle développé permet d’effectuer cette répartition des émissions de gaz à effet de serre de manière cohérente.

Anticiper les débats
Dans cette étude, le chercheur souhaite anticiper les débats politiques et économiques à venir en y apportant une réponse scientifique: «Ces nouvelles bioraffineries devront remplacer en partie les raffineries de pétrole. Elles n’ont cependant pas encore de méthodologie claire sur le calcul de leur cycle de vie et restent concurrencées par les prix bas du pétrole (ndlr : Les biocarburants restent encore deux à trois fois plus chers que les combustibles fossiles). Et les politiques ne se sont pas encore saisis de cet enjeu. C’est pourquoi c’est un bon sujet de recherche», souligne Edgard Gnansounou.

Selon lui, le secteur reste encore trop focalisé sur le bilan des biocarburants alors que, mathématiquement, ce bilan n’est pas défendable sans analyser la répartition globale des allocations de gaz à effets de serre entre tous les coproduits d’une bioraffinerie. Cette nouvelle manière de penser aurait même l’avantage de donner plus d’informations aux consommateurs sur la durabilité des produits issus de la biomasse. Edgard Gnansounou poursuit sa recherche et se penche déjà sur de nouvelles études de cas pour une future publication.

Référence

Edgard Gnansounou, “Coproducts performances in biorefineries: Development of Claiming-Based Allocation models for Environmental policy”, Bioresource Technology, Janvier 2018.