« C'est un organisme absolument incroyable ! »

Réseau de filaments, mycélium © Mario Del Curto
Pour son exposition « Fungi, un monde sans fin », organisée par CDH-Culture, le photographe Mario Del Curto a parcouru le monde pour photographier différents types de champignons dans la nature, en agriculture et dans des laboratoires scientifiques. Les photos sont exposées au Rolex Learning Center jusqu'au 23 février 2025.
Pourquoi avez-vous choisi de photographier des champignons ?
Quand je dis à quelqu'un que je travaille sur les champignons, tout le monde s'imagine un nouveau livre sur ce qu'on mange: les morilles, les chanterelles et tout ça. Mais en fait non. 25 % du monde fongique est invisible. Dans l'exposition, je pars sur le réseau mycélien qui est essentiellement un réseau souterrain, fait de filaments qui sont de l’ordre d'un nanomètre. Il y a cette évolution à partir du filament qui se manifeste dans la force extraordinaire du vivant.
Plus j'avance dans ce travail sur le végétal et sur la présence des champignons, plus j'ai le sentiment que la séparation des règnes est une séparation un peu arbitraire, scientifique, pour cloisonner. Mais quand on regarde les formes du vivant, on se rend compte que quelquefois le champignon ressemble à un animal, quelquefois à un végétal. Quelquefois le végétal ressemble à un champignon, quelquefois le végétal ressemble à un humain. Ce travail m'amène à me demander ce qu’est le vivant sur notre planète.
Commentavez-vous eu cet intérêt pour les champignons?
J'avais fait un travail sur la relation entre l'homme et le végétal. Il y a eu un livre Humanités végétales, et à la fin du livre, j'abordais la question de l'agronomie et des champignons avec Katia Gindro à l’Agroscope de Changins, et elle m'a un peu contaminé. C'est à dire? Elle m'a un peu raconté ce qu’était un champignon, les façons d'existence du champignon, les lieux où on pouvait en trouver. Et je me suis dit : ‘c'est un organisme absolument incroyable, qui a une capacité d'adaptation absolument phénoménale !’ Ce que je trouvais intéressant aussi c'était le fait que l'animal et le champignon ont évolué pendant longtemps ensemble. Et c'est vrai que d'un point de vue génétique, le champignon est plus près de l'animal que du végétal. Il y a aussi une partie que j'aime beaucoup dans mon travail en général, c'est tout l'apport des amateurs dans la science et la connaissance.
Comment avez-vous travaillé dans les labos ?
C'est très particulier parce que à présent, la recherche que ce soit en biologie, en physique ou en chimie, se passe dans les mêmes labos. En général c'est un peu de matière et de grands ordinateurs.
Une autre caractéristique de mon travail est que je suis toujours resté au niveau de ce que l'œil voit. C'est-à-dire que je n'ai pas utilisé de microscope, de longue-vue, de télescope, mais en même temps, je me disais que c'est quand même bizarre d’effectuer un travail photographique sur un organisme dont 25 % est invisible. Donc j'ai travaillé un peu avec le département de microscopie électronique à l'Université de Genève pour la truffe entre autres, et pour d'autres champignons. Ce qui m'intéresse dans cette structure, c'est qu’elle n’est pas très diffèrent d’un tissu fixé sur un os.
Comment avez-vous conçu cette exposition pour le Rolex Learning Center ? Ce bâtiment est assez particulier.
Je trouvais intéressant d'amener un peu de nature dans ce milieu “high-tech” de l’EPFL, où on sent les prémices peut-être d'une humanité un peu hors-sol, qui vit beaucoup sur des écrans, avec de la technologie.
L'espace du Rolex est difficile, mais la structure est bien. Je trouve que c'est vraiment important d’avoir une présence photographique dans un milieu estudiantin. J’ai l’espoir que cette exposition donne la possibilité de regarder et de découvrir une autre sensibilité. Je pense que c'est assez complémentaire.

Que pouvons-nous apprendre des champignons ?
Réflexion un peu en miroir dans le sens où il y a des champignons pathogènes, mais aussi beaucoup de champignons qui travaillent dans une association positive, c'est-à-dire qui sont des éléments indispensables, comme les arbres par exemple. Une mutualité est possible. Quelquefois je me dis que la vie mycologique, la vie mycorhizienne et celle du mycélium, ne sont pas très loin de la société humaine. Mais peut-être que la société humaine est plus en conflit que les champignons entre eux. Les champignons défendent aussi leur territoire, mais en même temps, ils sont très souvent dans des situations d'entraide et de mutualisme.
Par contre, il y a cette idée répandue qu'on peut voir dans la presse ou dans certains films que les champignons vont sauver le monde. Mais, ceux qui peuvent sauver le monde ou l'humanité, ce sont les humains.