« C'est merveilleux d'être payée pour réfléchir »

Anna Fontcuberta © 2019 EPFL

Anna Fontcuberta © 2019 EPFL

A l’occasion des 50 ans de l’EPFL, la faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur propose une série de portraits consacrés aux femmes professeures de la faculté. Aujourd’hui, nous rencontrons Anna Fontcuberta i Morral, qui vient d’être nommée Professeure ordinaire. 

Fabriquer de nouveaux matériaux dotés de propriétés optiques et électriques révolutionnaires. Tel est le dada d’ Anna Fontcuberta i Morral, fraîchement nommée professeure ordinaire à la faculté des Sciences et Techniques de l'Ingénieur de l'EPFL. Ancienne karatéka et brillante scientifique, elle mène des recherches pour concevoir les cellules solaires et ordinateurs de demain.

«Comment tout cela fonctionne-t-il» ? Cette question, Anna Fontcuberta i Morral se l’est souvent posée étant enfant, lorsqu’elle observait la nature environnante. Portée par cette interrogation, elle a mis très tôt la science et l'ingénierie au centre de sa vie, étudiant d’abord les maths, la physique, et enfin les matériaux.

Aujourd’hui, elle est Professeure à l’EPFL, où elle dirige le Laboratoire des matériaux semi-conducteurs. Elle y étudie les semi-conducteurs, et vise à trouver des nouveaux matériaux et nanostructures qui joueront un rôle clé dans la société du futur. Son but? Équiper les ordinateurs quantiques de demain avec des matériaux aux propriétés optiques exceptionnelles, et fabriquer des panneaux solaires ultra-performants pour tous les citoyens.

«Actuellement, les cellules photovoltaïques les plus efficaces sont constituées de matériaux rares et coûteux. Elles sont envoyées dans l’espace, mais sont inaccessibles pour le plus grand nombre», illustre la chercheuse. «Nous cherchons de nouveaux matériaux dont les éléments chimiques sont faciles à extraire, et qui sont jusqu’à 1000 fois plus abondants que les matériaux actuels, ou des nanostructures qui permettraient d’obtenir des cellules solaires avec un rendement similaire à celui des cellules qui équipent les satellites.»

« Tu finiras sous un pont »

D’origine espagnole, Anna Fontcuberta i Morral a développé très tôt le besoin de comprendre le monde. Elle se lance très vite dans des études de physique à l’Université de Barcelone. Un choix qui provoque des réactions mitigées. «A l’époque, un diplôme de physique en Espagne ne valait pas grand-chose. Ma mère me disait : tu finiras sous un pont», se souvient la chercheuse.

Malgré cela, Anna Fontcuberta i Morral n’écoute que son cœur. Elle se spécialise en physique du solide, et se passionne ensuite pour les matériaux. Elle entreprend un doctorat à Paris, à l’Ecole Polytechnique, puis effectue un post-doctorat au California Institute of Technology (Caltech, où elle co-crée aussi une start-up) et passe par le Technische Universität de Munich. Elle rejoint l’EPFL en 2008. «Je trouve cela passionnant de faire bouger les frontières de la science, et de faire des découvertes chaque jour. C’est merveilleux d’être payée pour réfléchir», s’enthousiasme-t-elle. «J’essaie de m’amuser un maximum à toutes les étapes d’une recherche».


Des remarques sur le physique

Aujourd’hui reconnue et récompensée par plusieurs prix scientifiques de premier plan, La chercheuse de 44 ans n’a toutefois pas connu que des moments faciles lors de son cursus . En France, on fait des remarques sur le physique des femmes. En Allemagne sa grossesse a été perçue comme la fin de la carrière. «J’étais contente de passer du temps aux Etats-Unis, où ce genre de comportement n’est pas toléré. Il faut beaucoup croire en soi dans ces moments-là».

Par chance, elle bénéficie durant sa carrière de mentors exceptionnels. «Pour eux, j’étais une chercheuse avant d’être une femme. Ils m’ont inspiré, et beaucoup apporté.»

Mère d’une fille de 9 ans et polyglotte (catalan, espagnol, anglais, français, allemand), Anna Fontcuberta i Morral encadre en outre dans son laboratoire plus d’une dizaine de doctorants. «Une de mes plus grandes joies est de voir ces jeunes scientifiques progresser et faire des découvertes. Ce sont des moments uniques.»

Pas question pour autant de se noyer constamment dans le travail. Quand elle le peut, la chercheuse, autrefois adepte de karaté, pratique la course à pieds, le yoga, et passe le plus de temps possible en famille. «C’est sûr qu’il faut s’organiser pour concilier vie professionnelle et vie privée, mais c’est un équilibre essentiel. »

Le conseil qu’elle donnerait à une jeune femme intéressée par une carrière scientifique dans l'ingénierie? «Il faut s’écouter soi-même. Même si c’est parfois difficile de se lancer, la récompense est énorme», assure-t-elle. «Les femmes sont des atouts indéniables pour la science. Elles ont cette vision globale qui permet de connecter les concepts et les gens entre eux. Si l’envie est là il ne faut pas hésiter.»