«C'est en enseignant que j'ai vraiment compris la matière»

Stefano Mischler, meilleur enseignant 2023 de la section de science et génie des matériaux de l’EPFL - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Stefano Mischler, meilleur enseignant 2023 de la section de science et génie des matériaux de l’EPFL - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Le hasard fait bien les choses. Du moins, si on accepte de s’y fier. Un enchaînement d’évènements a propulsé Stefano Mischler dans l’univers passionnant de la tribologie. Plus de trente ans plus tard, il envisage la retraite avec sérénité.

Qui a dit que les scientifiques ne croient pas au hasard? Selon Stefano Mischler, «tout est question de hasard dans la vie». Le meilleur enseignant 2023 de la section de science et génie des matériaux de l’EPFL donne l’exemple de son parcours académique. «Pour moi, il était très clair que j’étudierais soit l’histoire, soit la chimie.» Cette dernière faisant miroiter un meilleur salaire, elle l’a presque emporté, précise-t-il en riant. «Et puis un chercheur est venu présenter le génie des matériaux au gymnase et j’ai été séduit.» Finalement, c’est à cette branche qu’il a consacré les années suivantes, dans les auditoires et laboratoires de l’ETH Zurich.

L’histoire ne s’arrête pas là. «A la fin de mes études, un professeur m’a parlé des analyses de surface conduites à l’EPFL et cela a fait tilt.» Ni une ni deux, le frais diplômé prend le train pour Lausanne et va frapper à la porte du professeur Dieter Landolt. Il ressort de son bureau avec un projet de thèse. Un passage par l’Atomic Energy Research Establishment (Oxfordshire) plus tard – dans le cadre d’un post-doc - et Sefano Mischler est de retour en Suisse, «convaincu d’aller travailler dans l’industrie». C’est sans compter avec son ancien directeur de thèse, qui lui propose un second post-doc, consacré à la tribologie. «Je lui ai demandé: ‘tribolo-quoi?’» A nouveau séduit, le jeune homme a accepté le défi. «Je me suis dit: ‘Deux ans, puis c’est l’industrie.’»

Plus de trente ans plus tard, Stefano Mischler est toujours à l’EPFL, où il dirige le Tribology and Interfacial Chemistry (TIC) Group. Tribolo-quoi? «La tribologie étudie les phénomènes d’interaction entre des systèmes en contact, immobiles ou en mouvements relatifs: lubrification, frottement, usure, etc.» Une branche très interdisciplinaire, «qui a connu un vrai élan il y a une trentaine d’années». A tel point que la CTI (ndlr:remplacée entretemps par InnoSuisse) a accordé au TIC, qui faisait alors partie du laboratoire du professeur Landolt, deux millions de francs pour avancer dans ses travaux. Une si généreuse manne publique nécessitant l’approbation du Conseil fédéral, «la Suisse dispose probablement du seul gouvernement au monde qui sait ce qu’est la tribologie», relève le chercheur sur le ton de la boutade. Il précise qu’au fil des ans, sa discipline s’est fait sa place dans l’industrie, notamment dans l’horlogerie et le biomédical.

Vue d’ensemble

Pour transmettre la magie de la tribologie aux jeunes femmes et hommes qui suivent ses cours, pas de miracle: «Cette discipline repose sur une méthodologie dense, qu’il faut parvenir à faire passer sans décourager.» Cela fait près de 30 ans que Stefano Mischler se livre à cet exercice d’équilibriste, qu’il considère comme un privilège. «C’est en enseignant que j’ai vraiment compris la matière.» Il ajoute avec un clin d’œil: «Expliquer la tribologie à sa grand-mère, c’est facile; aux étudiants, beaucoup moins.»

Mais au fond, en quoi le fait d’enseigner permet-il à Stefano Mischler de mieux s’approprier la tribologie et, dans la foulée, de devenir un meilleur chercheur? «Pour être en mesure de transmettre une matière, vous êtes obligé de garder la vue d’ensemble, ce qui, par ricochet, vous oblige à vous replacer dans une perspective à plus long terme.» Dans le cas spécifique de la tribologie, le scientifique donne l’exemple de la lubrification: «Elle a été développée au 18ème siècle; l’huile servait alors à lubrifier l’acier.» Or, un chercheur contemporain qui planche sur l’optimisation de la lubrification des polymères grâce à l’eau «est confronté à une réalité complètement différente, le poussant à se désintéresser de l’huile». L’enseignant, lui, «est obligé de prendre les deux en compte, l’huile et l’eau, afin d’offrir aux étudiants une boîte à outils complète, dans laquelle ils pourront se servir toute leur vie».

En trois décennies, la manière d’enseigner du responsable du TIC n’a pas fondamentalement changé, commente ce dernier. «Le contenu est resté stable; c’est presque un peu frustrant pour moi mais bon, si cela plaît aux étudiants…», sourit-il. «Par contre, avec l’introduction du cursus Master, j’ai accentué le côté interactif de mes cours; je leur pose beaucoup de questions, tente d’aiguiser leur sens critique mais aussi de faire le lien avec la pratique.» Stefano Mischler a également à cœur de jeter des ponts vers le futur, vers le monde du travail. «J’invite régulièrement d’anciens étudiants en tribologie – qui travaillent par exemple dans l’horlogerie, les implants biomédicaux ou encore les systèmes de transports – à venir expliquer l’importance qu’ont joué les bases théoriques solides dans leur parcours professionnel.»

Saisir les opportunités

Les bases théoriques solides sont-elles également importantes à l’issue du parcours professionnel? Stefano Mischler pourra répondre à cette question d’ici quelques années, lui qui prendra sa retraite en 2025. D’ici là, il a encore du pain sur la planche, notamment «créer une faculté de tribologie à l’EPFL», plaisante-t-il. Et après? «Ma retraite n’est pas encore organisée; je ne suis pas franchement le roi de l’anticipation.» Le chercheur-enseignant est confiant. «Comme je l’ai déjà indiqué, je crois au hasard; j’irais même plus loin: je suis persuadé que le hasard fait bien les choses, à condition bien sûr que l’on sache saisir les opportunités.»


Auteur: Patricia Michaud

Source: People

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