Brille, brille petit satellite

L'étoile double Albiréo.  Deux des dix expositions de 2,5 minutes ont enregistré les satellites Starlink se déplaçant dans le champ. © NOIRLab / Rafael Schmall Creative Commons

L'étoile double Albiréo. Deux des dix expositions de 2,5 minutes ont enregistré les satellites Starlink se déplaçant dans le champ. © NOIRLab / Rafael Schmall Creative Commons

Depuis des millénaires, les humains se sont inspirés des étoiles, mais cette époque pourrait bientôt être révolue: l’augmentation significative du nombre de satellites pourrait limiter notre vision du ciel nocturne. Des scientifiques de l’EPFL participent à une initiative internationale visant à mieux protéger le ciel sombre et silencieux de la Terre.

Imaginez Babylone vers 1000 av. J.-C. Les habitantes et habitants de la cité antique consignent leur vision des étoiles, créant certains des premiers documents astronomiques. À Babylone et ailleurs, depuis des millénaires, les êtres humains se servent des étoiles pour la mesure du temps, la cartographie, la navigation et les semailles.

Des milliers d’années plus tard, l’astronome italien Galilée a commencé à changer notre vision de l’Univers grâce aux observations qu’il a faites avec son télescope, notamment en démontrant que la Terre n’était pas au centre de tout.

Aujourd’hui, les astronomes observent l’Espace à travers le spectre électromagnétique, les ondes radioélectriques basses fréquences ou la lumière visible jusqu’aux rayons gamma. À l’aide de télescopes terrestres et spatiaux, ils ont détecté des sursauts radio rapides, des milliers d’exoplanètes et de la matière noire. Ces découvertes fondamentales aident à mieux comprendre notre place dans l’Univers.

Cependant, les perspectives s'assombrissent... Malgré les bénéfices certains des activités spatiales, l’augmentation de la pollution lumineuse et le bruit radioélectrique causé par les satellites artificiels nuisent à notre capacité d’accéder au ciel nocturne. Cela a des répercussions importantes sur la science et la société.

L’orbite de la Terre inondée de dizaines de milliers de satellites

Actuellement, l'orbite terrestre compte une dizaine de milliers de satellites actifs. On estime qu’ils y en aura 100'000 d’ici à 2030. La plupart seront lancés par Starlink, OneWeb et Amazon pour permettre un accès Internet à haut débit ou l’observation de la Terre. On doit y ajouter les 37'000 débris spatiaux de plus de 10 cm qui réfléchissent aussi la lumière du soleil. En résumé: «Houston, nous avons un problème.»

«L’augmentation exponentielle du nombre de satellites actifs entraîne des niveaux plus élevés de pollution lumineuse et crée de longues traînées lumineuses sur les images d’astronomie optique prises à la surface de la Terre. Dans le même temps, les ondes radio émises par les satellites de télécommunication interfèrent avec les radiotélescopes», explique le professeur Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique (LASTRO) de l’EPFL.

Jean-Paul Kneib est aussi délégué scientifique suisse auprès du Square Kilometer Array Observatory (SKAO), une organisation internationale qui construit le plus grand radiotélescope du monde. Le secrétariat du Square Kilometre Array Switzerland (SKACH) se trouve à l’EPFL.

Cette installation de radioastronomie de nouvelle génération sera notamment capable de détecter pour la première fois les signaux de l’aube cosmique, lorsque les toutes premières étoiles et galaxies étaient sur le point de se former. Cela permettra de répondre à certaines des questions scientifiques les plus fondamentales de notre époque.

Avec une phase opérationnelle prévue d’au moins 50 ans, le SKAO sera l’une des pierres angulaires de la physique du XXIe siècle. Mais la prolifération des constellations de satellites pose déjà un défi à ses travaux préliminaires et à ceux de ses installations précurseurs.

Les satellites Starlink passent au-dessus de la forêt nationale de Carson, au Nouveau-Mexique. © IAU / M. Lewinsky Creative Commons

Les radiofréquences pour la science et la société

Aujourd’hui, de nombreux radiotélescopes sont situés dans des zones de silence radio protégées pour prévenir les interférences de radiofréquences au sol. Cependant, le nombre de nouveaux satellites en orbite proche de la Terre affecte le niveau de protection que ces zones assuraient précédemment. Si des actions préventives ne sont pas prises, les constellations de satellites de plus en plus nombreuses émettront constamment des signaux au-dessus de ces radiotélescopes hautement sensibles et risquent d’influer fortement sur les mesures.

Certaines bandes de fréquences étroites sont protégées par l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour la radioastronomie. Toutefois, elles ne représentent qu’une infime fraction du spectre radioélectrique qui est principalement alloué aux communications, à la navigation, ainsi qu’à des utilisations militaires et commerciales.

Le Règlement des radiocommunications est révisé tous les 3 à 4 ans lors des Conférences mondiales des radiocommunications (CMR). En 2023, pour la première fois depuis plus de dix ans, les parties prenantes de la radioastronomie ont fait approuver un nouveau point à l’ordre du jour de la prochaine réunion, en 2027. Il vise à examiner les «études sur les dispositions techniques et réglementaires nécessaires à la protection de la radioastronomie opérant dans des zones de silence radio spécifiques». La communauté de la radioastronomie prépare actuellement ses positions pour la CMR de 2027, en informant les gouvernements de l’importance des radiofréquences pour la recherche et en sensibilisant le public et les astronomes.

La gouvernance de l’Espace extra-atmosphérique

Réglementer ce qui va dans l’Espace est une autre histoire: c'est Far West. Le Traité sur l’Espace extra-atmosphérique, l’accord international qui régit la manière dont les nations agissent dans l’Espace, a été adopté par les Nations Unies en 1967. Il contient peu de règles, bien qu’il garantisse la liberté d’exploration de l’Espace et de son utilisation à des fins pacifiques, le libre accès à l’Espace et la liberté de recherche scientifique dans l’Espace extra-atmosphérique.

Un autre principe clé du Traité est que «les États doivent éviter la contamination nuisible de l’Espace et des corps célestes». Lorsque les satellites existent par dizaines ou centaines de milliers, peut-on les qualifier de contamination nuisible? Quand y en a-t-il trop?

«Il est important que la communauté internationale élabore une approche innovante de la gouvernance spatiale, qui tienne compte des complexités de la géopolitique actuelle tout en garantissant un accès équitable aux infrastructures spatiales pour le bien de l’humanité. La communauté spatiale pourrait certainement chercher à tirer des enseignements de la crise climatique et à prendre en compte différentes valeurs et opinions culturelles», affirme Emmanuelle David, directrice exécutive du Centre spatial de l’EPFL.

Nous devons reconnaître les dommages causés par l’expansion de la lumière artificielle la nuit.

Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL

Un ciel sombre et silencieux

Face au défi posé par des dizaines de milliers de satellites dans le ciel, le Centre de l’Union astronomique internationale (UAI) pour la protection du ciel sombre et silencieux contre les interférences des constellations de satellites a été officiellement inauguré en 2022. La même année, et pour la première fois, l’UAI, la SKAO et l’Observatoire européen austral (ESO) ont soumis pour examen un document au Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA).

C’était la première fois que la protection du ciel sombre et silencieux de la Terre était inscrite officiellement à l’ordre du jour des Nations Unies. Cela encourage la communauté internationale à protéger les capacités mondiales d’observation astronomique contre les interférences artificielles perturbatrices et nuisibles. Jean-Paul Kneib et Thomas Schildknetch de l’Université de Berne ont été nommés par le gouvernement suisse comme représentants au sein de la nouvelle initiative Group of Friends of the Dark & Quiet Skies for Science and Society. Sous les auspices du CUPEEA, celui-ci réunira des recommandations d'experts en vue d’atténuer les interférences des satellites et des constellations de grands satellites sur l’astronomie.

«Nous devons reconnaître les dommages causés par l’expansion de la lumière artificielle la nuit. En tant que membre de cette initiative GoF, nous voulons nous assurer que “l’impact des constellations de satellites sur les installations astronomiques” est à l’ordre du jour afin de discuter de ces problèmes et de veiller à ce qu’ils soient résolus ou atténués de manière satisfaisante», précise Jean-Paul Kneib.

Aujourd’hui, si vous avez la chance d’observer une belle nuit étoilée dans un endroit reculé, vous verrez plus de satellites en orbite que d’étoiles filantes. Les célèbres colliers de perles de Starlink peuvent être fascinants un instant, mais avons-nous vraiment envie de voir, de n’importe quel endroit sur Terre, des centaines de satellites sans cesse en mouvement qui éclipsent les étoiles? Le ciel nocturne immaculé fait-il partie du patrimoine de l'humanité?

«En l’absence de toute réglementation existante, ce sont nos sociétés, et non les entreprises privées, qui devraient décider de protéger ou non notre ciel sombre et silencieux en tant que ressource appartenant à toute l’humanité», conclut Jean-Paul Kneib.

Cette semaine, le Centre spatial de l’EPFL a coorganisé la Conférence sur les débris spatiaux et la durabilité à Hong Kong, qui a présenté les dernières tendances, défis et opportunités en matière de durabilité de l’Espace.
Du 6 au 8 janvier 2025, le Centre accueillera les Swiss Space Sustainability Research Days, dont le thème central sera le ciel sombre et silencieux.


Auteur: Tanya Petersen

Source: EPFL

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