«Avec autant de zéros, difficile de faire le lien avec la vraie vie»

Andreas Fuster a été désigné meilleur enseignant de la section d’ingénierie financière. 2023 EPFL / Alain Herzog CC-BY-SA 4.0

Andreas Fuster a été désigné meilleur enseignant de la section d’ingénierie financière. 2023 EPFL / Alain Herzog CC-BY-SA 4.0

Le parcours académique et professionnel d’Andreas Fuster ne le destinait pas à enseigner. Encore moins dans une haute école technique. Pourtant, son choix de rejoindre l’EPFL en 2021 a été payant: un an plus tard, il a été désigné meilleur enseignant de la section d’ingénierie financière.

Jusqu’en 2007, la finance n’était pas vraiment le truc d’Andreas Fuster. Mais les subprimes ont changé la donne. «Cette crise financière majeure (ndlr: qui a démarré aux Etat-Unis en raison d’un endettement excessif des particuliers puis s’est propagée au monde entier) a représenté un tournant dans ma vie académique et professionnelle, comme si quelqu’un avait appuyé sur un bouton et que ça avait fait ‘clic’», se souvient ce professeur associé de finance au Collège du management de la technologie (CDM) de l’EPFL.

Avant de rejoindre le CDM en 2021, celui qui a été désigné meilleur enseignant 2022 de la section d’ingénierie financière de l’EPFL a passé dix ans sur le terrain, successivement à la Réserve fédérale américaine (Fed) puis à la Banque nationale suisse (BNS). «Même si mon parcours ne me destinait pas forcément à l’enseignement, j’ai soudain eu l’impression qu’il était temps de faire profiter les étudiantes et les étudiants de cette expérience de terrain.»

Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas pousser le défi plus loin, en rejoignant une haute école technique?, s’est demandé ce titulaire d’un master de l’Université d’Oxford et d’un doctorat de l’Université de Harvard. «Je pense qu’il est très important que les techniciennes et techniciens disposent d’un solide bagage financier; étant donné qu’une partie de ma recherche porte sur le développement technologique, il s’agit d’une très bonne combinaison.»

Dépoussiérer la recherche

Andreas Fuster l’admet néanmoins en riant: enseigner la finance n’est pas toujours une promenade de santé. «Il s’agit d’une matière très institutionnelle, voire parfois carrément indigeste; le fait que la plupart des manuels de référence sont américains, donc concernent un système financier fondamentalement différent du nôtre, n’aide pas.» Un autre challenge se situe du côté de «la taille astronomique des sommes dont il est question dans mes cours». Quand il y a autant de zéros, «je comprends que mes élèves peinent parfois à faire le lien avec la ‘vraie vie’, même si au fond, nous sommes tous concernés par ces chiffres».

Soucieux de ne pas perdre la moitié de l’auditoire à chaque cours, le professeur a adopté une approche résolument orientée sur la pratique. «Je crois fermement au pouvoir des applications concrètes et réelles comme validation de la théorie.» Les étudiantes et étudiants doivent notamment réaliser des exercices basés sur des affaires tirées de l’actualité. Dans un cas, ils étaient priés d’évaluer l’option d’une fusion entre deux grandes banques européennes. «J’invite par ailleurs des acteurs de la finance à venir s’exprimer sur des thématiques abordées en cours, par exemple le responsable de la gestion des risques auprès d’une banque cantonale, un conseiller de la BNS ou encore le co-fondateur d’une start-up active dans la fintech.»

Un autre élément qui tient à cœur d’Andreas Fuster est d’intégrer dans ses cours les recherches les plus récentes. «Dans la mesure du possible, je présente à mes élèves les résultats d’études ne datant pas de plus de cinq ans; en ce sens, je m’écarte de ce que font la plupart des auteurs de manuels ‘classiques’, qui renvoient à des recherches emblématiques menées il y a plus de vingt ans.» Selon ce spécialiste de l’économie comportementale, «il est plus gratifiant d’étudier des concepts lorsque l’on sait qu’ils font activement l’objet de recherches et de discussions de la part des académiciennes et académiciens les plus en vue du moment».

Crise fictive

Andreas Fuster n’hésite pas non plus à demander à ses élèves de relever leurs manches et mener des expériences. «J’ai par exemple testé en cours une sorte de jeu de rôle économique.» Concrètement, il s’agissait d’une situation de ‘panique bancaire’ (bank run). «Ce jeu présentait deux scénarios possibles: l’un où tous les clients de la banque retiraient leurs avoirs, ce qui n’est pas optimal dans une perspective collective mais fait sens à titre individuel. Et l’autre où personne ne retirait son argent de la banque, ce qui peut aussi faire sens à titre individuel, mais seulement à condition d’être persuadé que les autres clients feront de même.» En jouant à ce jeu, «on est logiquement confronté de façon beaucoup plus intime à la situation donnée que si on lisait un article scientifique sur la question». De l’avis du professeur associé du CDM, le côté interactif de ses cours est probablement ce qui fait pencher la balance en sa faveur lors des évaluations par les étudiantes et étudiants. «Ils apprécient aussi le fait que je laisse toujours de la place pour les questions… et les réponses.»


Auteur: Patricia Michaud

Source: People

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