Atteindre la cible par stimulation cérébrale profonde non invasive

© 2024 Hummel / EPFL
Des scientifiques de l’EPFL ont testé avec succès une nouvelle technique permettant de sonder profondément le cerveau humain, sans chirurgie, à des fins thérapeutiques potentielles.
Les troubles neuro-psychiatriques, tels que l'addiction, la dépression, la maladie de Parkinson et le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), affectent des millions de personnes dans le monde et sont souvent caractérisés par des processus patho-physiologiques impliquant plusieurs régions et circuits cérébraux. Ces conditions sont notoirement difficiles à traiter en raison de la complexité des déficits et du défi de délivrer des thérapies aux structures cérébrales profondes sans procédures invasives.
Dans le domaine en évolution rapide des neurosciences, la stimulation cérébrale non invasive constitue un nouvel espoir pour comprendre et traiter une myriade d’affections neurologiques et psychiatriques sans intervention chirurgicale ni implants. Des scientifiques, sous la direction de Friedhelm Hummel, titulaire de la chaire Defitech de neuro-ingénierie clinique de l’EPFL et Pierre Vassiliadis, sont à l’avant-garde d’une nouvelle approche dans le domaine, ouvrant de nouvelles opportunités de traitement de pathologies du système de la récompense comme les addictions et la dépression.
«La stimulation cérébrale profonde invasive a déjà été utilisée avec succès sur des centres de contrôle neuronal profondément implantés dans le cerveau dans le but de réduire les addictions et de traiter la maladie de Parkinson, les TOC ou la dépression», explique Friedhelm Hummel. « Notre approche est non invasive, ce qui signifie que nous appliquons une légère stimulation électrique sur le cuir chevelu pour cibler ces régions. C’est ce qui la différencie des autres techniques. »
Leurs recherches, qui s’appuient sur la stimulation électrique par interférence temporelle transcrânienne (tTIS), cible spécifiquement les régions profondes du cerveau qui forment les centres de contrôle de plusieurs fonctions cognitives importantes et sont impliquées dans différentes pathologies neurologiques et psychiatriques. Leur étude, publiée dans Nature Human Behaviour, met en lumière l’approche interdisciplinaire qui intègre la médecine, les neurosciences, la modélisation et l’ingénierie afin d’améliorer notre compréhension du cerveau et de mettre au point des thérapies susceptibles de changer la vie des malades.
Notre approche nous permet de stimuler sélectivement les régions cérébrales profondes qui jouent un rôle dans les troubles neuro-psychiatriques.
Pierre Vassiliadis, l’auteur principal de l’article, médecin également titulaire d’un doctorat, explique que la tTIS emploie deux paires d’électrodes fixées au cuir chevelu pour diffuser des champs électriques faibles à l’intérieur du cerveau. « Jusqu’à présent, nous étions incapables de cibler spécifiquement ces régions avec des techniques non invasives, car les champs électriques de faible niveau stimulaient toutes les régions situées entre le crâne et les zones plus profondes, rendant les traitements inefficaces. Notre approche nous permet de stimuler sélectivement les régions cérébrales profondes qui jouent un rôle dans les troubles neuro-psychiatriques », ajoute-t-il.
Cette technique innovante repose sur le concept d’interférence temporelle, initialement étudié sur des modèles de rongeurs. L’équipe de l’EPFL l’a désormais transposée avec succès à des applications humaines. Dans cette expérience, une paire d’électrodes est réglée à une fréquence de 2000 Hz et l’autre à 2080 Hz. Grâce à des modèles informatiques détaillés de la structure cérébrale, les électrodes sont positionnées précisément sur le cuir chevelu de telle sorte que leurs signaux se croisent dans la région cible.
C’est là que se produit la magie de l’interférence temporelle: la légère différence de fréquence de 80 Hz entre les deux courants devient la fréquence de stimulation effective dans la zone cible. L’intérêt de cette méthode réside dans sa sélectivité. Les fréquences de base élevées (2000 Hz par exemple) ne stimulent pas directement l’activité neuronale, laissant le tissu cérébral intermédiaire intact parce que son effet se focalise uniquement sur la région ciblée.
Cette dernière étude porte sur le striatum humain, un acteur clé des mécanismes de récompense et de renforcement. « Nous nous penchons sur la manière dont le ciblage de fréquences cérébrales spécifiques est susceptible d’affecter l’apprentissage par renforcement, essentiellement la façon dont nous apprenons grâce à des récompenses », déclare Pierre Vassiliadis. En stimulant le striatum à 80 Hz, l'équipe de recherche a découvert qu’elle pouvait perturber son fonctionnement normal et influer directement sur le processus d’apprentissage.
Le potentiel thérapeutique de leur travail est immense, en particulier pour des maladies telles que les addictions, l’apathie et la dépression, pour lesquelles les mécanismes de récompense jouent un rôle central. « Les personnes souffrant d’addiction ont par exemple tendance à montrer un comportement d’approche excessif vers certaines récompenses. Notre méthode pourrait réduire cette exagération pathologique », souligne Pierre Vassiliadis.
L’équipe réfléchit par ailleurs à la manière dont différents motifs de stimulation pourraient non seulement perturber, mais aussi potentiellement améliorer les fonctions cérébrales. « Dans le cadre de cette première étape, nous avons validé l’hypothèse selon laquelle la fréquence de 80 Hz affecte le striatum. Nous l'avons fait en perturbant son fonctionnement. Nos recherches sont également prometteuses pour l’amélioration du comportement moteur et pour le renforcement de l’activité du striatum, surtout chez les personnes âgées dont les capacités d’apprentissage sont réduites », affirme Pierre Vassiliadis.
Nous envisageons une approche non invasive qui nous permettra d’expérimenter et de personnaliser le traitement de stimulation cérébrale profonde dès les premiers stades d’une maladie.
Hummel, neurologue de formation, discerne dans cette technologie les prémisses d’un nouveau chapitre de la stimulation cérébrale, offrant un traitement personnalisé avec des méthodes moins invasives. « Nous envisageons une approche non invasive qui nous permettra d’expérimenter et de personnaliser le traitement de stimulation cérébrale profonde dès les premiers stades d’une maladie », dit-il. La tTIS est également intéressante du fait de ses effets secondaires minimes. La plupart des sujets de ces études n’ont signalé que de légères sensations cutanées, ce qui en fait une approche très tolérable et bien adaptée.
Friedhelm Hummel et Pierre Vassiliadis sont optimistes quant à l’impact de leurs recherches. D’après eux, les thérapies non invasives de neuromodulation pourraient à l’avenir être facilement disponibles dans les hôpitaux, permettant à ces derniers de proposer une vaste palette de traitements peu onéreux.
L'Université Catholique de Louvain (Belgique), le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) (France), l'University Hospital Würzburg (Allemagne) et la Foundation for Research on Information Technologies in Society (Suisse) ont aussi collaboré à cette étude.
The research was partially funded by the Novartis Research Foundation—FreeNovation (Basel, CH) to M.J.W. and E.N., the Bertarelli Foundation (Catalyst ‘Deep-MCI-T’, Gstaad, CH) to F.C.H., the SNSF Lead Agency (NiBS-iCog 320030L_197899) to F.C.H., the ‘Personalized Health and Related Technologies’ (PHRT#2017-205)’ of the ETH Domain to F.C.H. and the Defitech Foundation (Morges, CH) to F.C.H.. This work has also been supported by the Social and hUman ceNtered XR (SUN) project that has received funding by the Horizon Europe Research & Innovation Programme under Grant agreement N. 101092612.
Vassiliadis, P., Beanato, E., Popa, T., Windel, F., Morishita, T., Neufeld, E., Duque, J., Derosiere, G., Wessel, M. J., et Hummel, F. C. (2024). Non-invasive stimulation of the human striatum disrupts reinforcement learning of motor skills. Nature Human Behaviour. DOI: https://www.nature.com/articles/s41562-024-01901-z