Assurer que les technologies émergentes soient durables

La viande cultivée en laboratoire a-t-elle une meilleure empreinte carbone que celle issue de l'élevage?EPFL / iStock

La viande cultivée en laboratoire a-t-elle une meilleure empreinte carbone que celle issue de l'élevage?EPFL / iStock

Le Centre international de gouvernance des risques de l’EPFL (IRGC) se préoccupe de la durabilité environnementale des technologies en devenir. Il souhaite développer des mécanismes pour aider à l’analyse et à la prise de décision.

Les technologies pour combattre le changement climatique, protéger l’environnement ou favoriser la durabilité sont en plein essor. Quantité de technologies émergentes vont aussi contribuer à améliorer la durabilité environnementale. Mais qu’en est-il d’autres technologies, développées pour d’autres buts? Celles qui éclosent des laboratoires, avec d’autres finalités, pourraient-elles causer des dommages inattendus à l’environnement ou au climat à long terme? Par exemple, jusqu’à ce que l’on constate les dégâts sur la couche d’ozone, les gaz CFC ont révolutionné l’industrie du froid et des propulseurs. Aujourd’hui, les néonicotinoïdes, même si leur arrêt est programmé, sont encore couramment utilisés alors que nombre de scientifiques dénoncent leurs effets néfastes sur la biodiversité. N’aurait-on pas dû réfléchir avant de se lancer lorsque ces applications de technologies étaient encore en gestation?

Le Centre international de gouvernance des risques de l’EPFL (IRGC) vient de publier un recueil d’articles qui se penche sur la question de la durabilité environnementale des technologies émergentes. Loin de vouloir les réprimer ou les réglementer, son but est de favoriser un état d’esprit qui prenne en compte cet aspect crucial et d’établir des lignes directrices à l’intention des législateurs et régulateurs, des développeurs de technologies, des institutions de financement, des investisseurs, de l’industrie et des organismes de standardisation. Au-delà, ce travail constitue une invitation à appréhender la complexité de technologies séduisantes et prometteuses, en considérant leur effet à long terme sur l’environnent. Mieux vaut prévenir que guérir.

Une multitude d'incertitudes

«Notre but est de contribuer à ce que les technologies émergentes ne causent pas de dommages à l’environnement lorsqu’elles seront déployées à large échelle», résume la directrice exécutive de l’IRGC Marie-Valentine Florin. «Aujourd’hui, nous sommes confrontés à d’énormes problèmes qu’il est urgent de résoudre. Mais en allant trop vite, on risque de passer à côté d’autres problèmes qui ne sont pas visibles maintenant, mais qui se manifesteront à plus ou moins long terme.» Les exemples foisonnent. Ils montrent que si l’on ne prête pas suffisamment attention au moment de la conception (early stage) aux potentiels effets négatifs de certaines technologies en devenir, leur déploiement peut être compromis. Même si entre-temps l’industrie peut largement y trouver son compte, comme dans le cas des CFC ou des néonicotinoïdes.

Notre but est de contribuer à ce que les technologies émergentes ne causent pas de dommages à l’environnement lorsqu’elles seront déployées à large échelle.

Marie-Valentine Florin, directrice exécutive de l’IRGC

Évaluer les risques sur la durabilité environnementale d’une technologie émergente n’est pas tâche facile. D’abord à cause des incertitudes inhérentes à prévoir l’avenir: incertitudes sur les applications finales, et incertitudes sur le contexte dans lequel elles seront déployées. S’ajoute le fait que l’évaluation de la durabilité peut changer au cours du temps ou être subjective. L’analyse du cycle de vie est souvent considérée comme un instrument de choix. «Toutefois, elle doit être effectuée ex ante, malgré toutes les incertitudes, et il n’existe pas de consensus pour mener des LCA exploratoires, ce qui fait que trois analyses pourront fournir trois résultats différents», souligne Marie-Valentine Florin, sachant en outre qu’elle ne prend pas en compte nombre de paramètres tels que les coûts, les revenus, l’acceptabilité sociale, les priorités commerciales… Enfin, la science ne peut pas déterminer ce qui est acceptable de façon abstraite et les points de vue peuvent diverger parmi les scientifiques sur la durabilité des nouveaux produits.

De l'espace à la viande in vitro

À travers des articles rédigés par des experts, l’IRGC analyse certaines technologies émergentes et leurs applications possibles en regard de la question de la durabilité environnementale. Ainsi Romain Buchs, analyste de la politique spatiale à ClearSpace, une spin-off de l’EPFL, aborde la durabilité des technologies spatiales. Le concept de durabilité environnementale utilisé dans le contexte terrestre peut à plus d’un titre être élargi au contexte spatial. Le diplômé de l’EPFL y adresse les risques de collisions entre débris spatiaux, les interférences optiques et radios, la pollution marine et atmosphérique et les contaminations interplanétaires. Dans ces cas, l’analyse du cycle de vie ne permet souvent pas, comme il le faudrait, de comparer les technologies. Elle omet aussi fréquemment la prise en compte d’effets hors de notre atmosphère. Avançant le concept d’une capacité spatiale limitée, l’auteur conclut que la durabilité des activités spatiales n’est pas évaluée de façon assez large et systématique.

Autre exemple, la volonté politique et industrielle d’utiliser des millions de batteries lithium-ion pour la mobilité et les besoins énergétiques. Priscilla Caliandro et Andrea Vezzini, de la Haute école spécialisée bernoise, identifient trois défis environnementaux majeurs liés à un déploiement massif: la taille des infrastructures nécessaire pour recycler toutes les batteries à la fin de leur cycle de vie, le manque d’information pour la réutilisation ou le recyclage et la faiblesse de la stratégie circulaire. Actuellement, selon les sources, entre 15 et 50% des batteries sont recyclées au niveau mondial. Quelque 21 millions de véhicules électriques circulent aujourd’hui. Comment les batteries des 350 millions de véhicules électriques prévus d’ici à la fin de la décennie seront-elles gérées? Que savons-nous aujourd’hui de leurs composants? De leur historique d’utilisation? Premier pas, l’Union européenne propose un «Battery Passport» et des régulations pour garantir la durabilité de la filière.

Directeur du Food and Nutrition Center de l’EPFL, Christian Nils Schwab et sa collègue Marine Boursier se penchent de leur côté sur la viande cultivée en laboratoire. Présentée comme une alternative prometteuse à l’élevage traditionnel, elle est cultivée à partir de cellules animales limitant ainsi l’émission de gaz à effet de serre et l’utilisation d’eau. Les analyses indiquent que, en utilisant au moins 30% d’énergie renouvelable, l’empreinte carbone est indéniablement réduite pour le bœuf, mais comparable à la moyenne mondiale pour le porc et le poulet utilisant de l’énergie conventionnelle. Mais aucune expérience à échelle industrielle n’existe encore pour valider ces hypothèses. Les auteurs estiment en outre qu’une analyse prospective incluant les aspects de santé, de sécurité, économiques, industriels et sociétaux (acceptabilité) doit être considérée avant même d’aborder les aspects environnementaux.

À terme, l’IRGC souhaite encourager l’adoption de mécanismes robustes et délibératifs pour la prise de décision et la gouvernance, afin que le développement des technologies émergentes prenne en compte la durabilité environnementale à court et long terme. Des lignes directrices sont en cours d’élaboration et devraient être publiées au courant du mois de mai.

Références

Ensuring the environmental sustainability of emerging technologies

Le projet

Recueil d'articles

Premier rapport


Auteur: Anne-Muriel Brouet

Source: EPFL

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