Après un hiver chaud, les ruisseaux alpins produisent plus de CO2
Une étude de l’EPFL permet de mesurer pour la première fois l’impact du réchauffement climatique sur les ruisseaux alpins avec un inquiétant constat à la clé: après un hiver pauvre en neige, ces ruisseaux émettent plus de dioxyde de carbone qu’ils n’arrivent à en capturer.
De nombreux scientifiques s’intéressent à l’impact du changement climatique sur les Alpes. L’une de ses conséquences les plus évidentes est la faible quantité de neige observée ces dernières années en montagne. Des chercheurs de l’EPFL ont découvert que le manque de neige avait également un impact sur les ruisseaux alpins. Nous savons depuis une dizaine d’année que ceux-ci, combinés aux lacs et aux rivières, contribuent dans une large mesure à émettre du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, un phénomène qui était, jusqu’ici, naturel. Selon leur étude, tout se dérègle après un hiver chaud pauvre en précipitations neigeuses: une fois le printemps revenu, les ruisseaux libèrent encore plus de CO2 qu’ils n’en absorbent. «Il s’agit de la première recherche qui montre l’impact du changement climatique sur le cycle global du carbone dans le cas des ruisseaux alpins», explique Tom Battin, directeur du Stream Biofilm and Ecosystem Research Laboratory (SBER) et co-auteur de cette recherche. L’article vient de paraître dans la revue Ecosystems.
Comparaison de deux hivers
La comparaison de données issues de deux hivers d’affilée, l’un qualifié de normal, entre 2012 et 2013, et l’autre d’exceptionnellement chaud, entre 2013 et 2014, a permis d’observer ce phénomène. «Après un hiver normal, notre étude montre que durant une fenêtre magique d’environ 70 jours, les ruisseaux capturent au printemps plus de dioxyde de carbone qu’ils n’en produisent naturellement, un phénomène nécessaire à la photosynthèse», précise Amber Ulseth, collaboratrice scientifique au SBER et première auteure de l’étude. «Mais après un hiver chaud qui a connu très peu de chutes de neige, on observe une plus grande production de CO2 car les cours d’eau émettent plus de dioxyde de carbone qu’ils n’en absorbent. Cette fenêtre magique disparaît et les ruisseaux alpins deviennent une source nette de CO2.»
A ce stade, il est encore difficile pour les chercheurs de mesurer la quantité de CO2 relâché dans l’atmosphère. Plusieurs conséquences sont toutefois à envisager. Les rivières situées en contre-bas des petits ruisseaux alpins risquent par exemple de recevoir moins de carbone organique pour alimenter leur métabolisme en raison de l’absence de neige fondue. La baisse de quantité de neige pourrait avoir une conséquence inquiétante sur l’ensemble du système, en se traduisant par exemple par une modification du débit d’eau. Des conséquences sur le réseau hydro-électrique qui dépend de ces rivières, en particulier sur les barrages, et sur le cycle de carbone dans les ruisseaux alpins sont ainsi probables et mériteraient d’être étudiées, selon les auteurs de l’étude.
Capteurs high-tech
Pour mieux comprendre le comportement des ruisseaux de montagne, les chercheurs ont immergé des capteurs environnementaux de dernière génération durant 18 mois sur 12 affluents de la rivière Ybbs, dans les Préalpes autrichiennes. Répartis en réseau entre 700 et 1500 mètres, ces senseurs ont permis de mesurer l’ensemble de l’écosystème aquatique de la région, l’une des nouveautés de l’étude. Trois paramètres ont été calculés toutes les cinq minutes: les variations de la lumière, de la température des eaux et de la concentration d’oxygène. Ces informations ont permis d’observer la photosynthèse et la «respiration écosystémique», qui donnent, au bout du compte, une idée des flux du dioxyde de carbone. «Cette recherche n’aurait tout simplement pas pu avoir lieu il y a dix ans, lorsque les capteurs que nous avons utilisés n’existaient pas, souligne Amber Ulseth. En récoltant des données toutes les cinq minutes, ils ont réellement pris le pouls de chaque ruisseau que nous avons étudié et permis de mesurer le métabolisme de tout un écosystème.»
Nouvelle étude en Valais et big data
L’équipe de Tom Battin souhaite aller plus loin dans son observation. Elle travaille depuis une année sur douze ruisseaux situés, en Valais, dans le Val Ferret, à Valsorey et à Champéry, et, dans le canton de Vaud, dans le Vallon de Nant. Les chercheurs effectuent des mesures plus poussées dans ces régions plus élevées et plus vastes que l’étude portant sur les Préalpes autrichiennes. Une dizaine de paramètres sont ainsi mesurés toutes les dix minutes au moyens de nouveaux capteurs, contre trois précédemment. Cette nouvelle phase de recherche a reçu le soutien de l’EPFL Valais-Wallis, du Fonds National Suisse et du projet européen «C-Cascades» qui vise à mieux comprendre le rôle du cycle du carbone dans la régulation du climat.
Durant environ trois ans, les chercheurs récolteront des millions de données, une méthode d’investigation devenue incontournable dans le domaine des sciences environnementales. Pour les traiter, l’équipe de Tom Battin travaille en étroite collaboration avec le nouveau Swiss Data Science Center, une joint-venture entre l’EPFL et l’ETH Zurich, avec des bureaux à Lausanne et à Zurich.