«Apprenez de quiconque est prêt à vous enseigner»

Silvestro Micera, Chaire Fondation Bertarelli en neuroingénierie translationnelle- 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Silvestro Micera, Chaire Fondation Bertarelli en neuroingénierie translationnelle- 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Avec Silvestro Micera, la bionique de science-fiction devient réalité: ses prothèses offrent un retour sensoriel via le système nerveux. Inspiré dans son enfance par des séries télé, le chercheur tente de restaurer les fonctions des personnes affectées par des problèmes de santé.

Enfant, Silvestro Micera s’est dit «Je veux être l’ingénieur qui construit ça !», en regardant au cinéma Luke Skywalker se faire implanter une main bionique de remplacement. «J’ai aussi vu l’Homme qui valait trois milliards, et je me souviens que je voulais être ce type qui disait “Nous pouvons le reconstruire ; nous avons la technologie”. Ensuite, j’ai assisté à une interview à la télévision avec le scientifique italien Vincenzo Genovese, de la Scuola Sant’Anna de Pise, qui parlait de robotique mobile pour aider les personnes handicapées. Je l’ai bien aimé. C’est là que je me suis décidé à poursuivre mes études à Pise.»

Inspiré par les superproductions de science-fiction — de la Guerre des étoiles en passant par l’Homme qui valait trois milliards et les Marvel Comics — Silvestro Micera a su très tôt, dès son enfance à Talsano, dans la banlieue de Tarente en Italie, qu’il voulait construire des membres bioniques. Aujourd’hui, il est devenu un chercheur de niveau mondial en neuro-ingénierie à l’EPFL.

Avec ses collègues, il publiait en 2014 le premier essai clinique peer-reviewed où l’on offrait à une personne amputée un retour sensoriel en temps réel, via une prothèse de main augmentée. Il poursuit son travail à l’avant-garde de la recherche en retour sensoriel. L’année dernière, il a ainsi montré que les personnes amputées pouvaient éprouver des sensations comme la température dans leur main fantôme. Silvestro Micera continue d’innover et de transférer la neuro-ingénierie dans le domaine clinique, avec de nombreux projets en cours, des essais cliniques au long cours et des expériences pour interfacer le système nerveux et traiter de nombreuses maladies invalidantes.

De l’ingénierie électrique à la neuro-ingénierie

Dès l’âge de 15 ans, il savait que l’ingénierie biomédicale était la voie à suivre. Mais à cette époque en Italie, il n’existait pas de telle formation. Il s’est lancé dans l’ingénierie électrique, envisageant de se rendre à Turin ou Milan. Or ses parents, un couple de médecin et d’enseignant, trouvaient ces deux villes trop éloignées du domicile. «Ils m’ont convaincu d’aller près de Pise, plus près de la maison, où un ami proche de la famille pouvait aider en cas d’urgence, raconte-t-il. Et toutes les pièces du puzzle se sont emboîtées quand j’ai vu Vincenzo à la télévision.»

C’est à l’Université de Pise que commence l’histoire académique de Silvestro Micera, qui avait presque 18 ans. Son récit retrace son parcours, marqué par la curiosité, la détermination et le souvenir heureux de ses mentors. En troisième année, il se remet sur la voie avec un mineur en ingénierie biomédicale. Il s’en rappelle comme d’un moment charnière. «Nous participions à des cours d’été pour les bioingénieurs italiens. Pendant la rencontre, nous avons discuté des actes et plus particulièrement d’un chapitre sur la robotique bio-inspirée, rédigé par Vincenzo Tagliasco, brillant professeur et pionnier dans le domaine. Après l’avoir lu, je me suis rendu vers mon professeur de master, Danilo de Rossi, pour lui expliquer que c’était ce que je voulais faire. Il m’a suggéré de poursuivre cet intérêt en travaillant avec Paolo Dario, de la Scuola Sant’Anna.»

Pendant ces années de formation à la Scuola Sant’Anna, sous la supervision de Dario, le chercheur a essayé de concevoir et de fabriquer des électrodes qui communiquent avec le système nerveux pour aider des personnes handicapées. D’abord avec des modèles animaux, puis en clinique. En 1998, il a commencé à diriger le projet européen GRIP, qui consistait à mettre au point un système intégré pour le contrôle neuroélectrique de la préhension chez les personnes handicapées. Pendant son doctorat, il était chercheur invité au Center for Sensory-Motor Interaction de l’université d’Aalborg, au Danemark. Sa thèse défendue, il est devenu professeur-assistant à la Scuola Sant’Anna. Toujours désireux d’élargir son horizon, il a décidé de travailler avec Emilio Bizzi, fondateur du Département de neurosciences au MIT. A cette fin, il a obtenu une bourse Fullbright et s’est envolé pour Boston en 2007. Après cela, il a dirigé le groupe de neuro-ingénierie translationnelle à l’ETH Zurich en 2008, avant d’arriver à l’EPFL en 2012. «Je suis venu à l’EPFL pour les possibilités de mettre en place des projets interdisciplinaires avec des scientifiques de talent dans différents départements, explique-t-il. Le nouveau centre interdisciplinaire de l’EPFL, Neuro-X, en est la parfaite illustration.»

Une carrière d’apprentissage et de mentorat

«J’ai connu de nombreux collaborateurs, et tous ont joué un rôle crucial dans ma carrière, explique Silvestro Micera. Mon premier superviseur, Angela Sabatini, m’a enseigné comment rédiger un article scientifique. Je continue à apprendre comment écrire et publier dans des revues à haut facteur d’impact avec mes contemporains, comme mon collègue de l’EPFL Grégoire Courtine. De Paolo, j’ai appris comment gérer un grand laboratoire, obtenir des financements et soumettre des propositions de recherche.»

«Deux personnes ont vraiment changé ma carrière, poursuit-il. Emillio Bizzi, qui a créé le département des neurosciences du MIT il y a plusieurs décennies, a partagé avec moi sa vision des neurosciences, interdisciplinaire et extraordinairement novatrice. Manfred Morari, mon supérieur à l’ETH Zurich, m’a aidé à reconstruire mon CV, mais, plus important, il m’a montré par l’exemple ce que cela veut dire d’être un grand professeur pour une institution comme l’ETH. Il était d’une rare perspicacité et organisait tout, de l’avenir de ses étudiants au futur de son groupe, jusqu’aux interactions politiques avec les parties prenantes. Il suffisait de l’observer pour être inspiré. Il était respecté comme professeur, comme collègue et comme membre du personnel.»

«Avant sa retraite, Manfred m’a poliment offert cette recommandation : “garde à l’esprit que tu seras oublié, ne laisse pas ton ego se mettre en travers de ton chemin”».

Silvestro Micera émet son propre conseil à l’ingénieure ou l’ingénieur qui poursuit une carrière académique : «Walt Witman a écrit : sois curieux plutôt que de porter des jugements. En somme, suivez votre parcours du mieux que vous le pouvez, restez humble, alimentez votre curiosité et apprenez le plus possible de quiconque est prêt à vous enseigner.»


Auteur: Hillary Sanctuary

Source: People

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