Aebischer, un homme, une marque

© 2016 Keystone

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Sciences du vivant, start-up à succès et premiers rangs dans les classements: Patrick Aebischer a un style.

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De son bureau, il aperçoit le Lac Léman. Pourtant c’est une toile du Lac de Seedorf (FR) peinte par son père, Yoki Aebischer, qu’il a accrochée au mur. A côté, une œuvre en marqueterie, faite de la même main, représente une double-hélice d’ADN. Un peu plus loin, un tableau estampillé du chiffre «18 275»: le nombre d’alumnis qui ont obtenus leur diplôme depuis son entrée en fonction à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ces anciens diplômés qui restent leur vie durant dans le réseau de l’école.

Ailleurs, sur un meuble, trône un pastiche de la couverture d’un célèbre album d’Hergé: «Patrick au Congo». Au soir du 31 décembre 2016, Patrick Aebischer quittera la présidence de l’EPFL après 17 ans à son poste. La présidence, mais pas son labo où il occupera un poste à 50% (lire page suivante). Interview de ce scientifique-entrepreneur, créateur d’une vraie marque de fabrique.

Patrick Aebischer, êtes-vous déjà un personnage de légende?

Légende me paraît un bien grand qualificatif. La mémoire est courte. Je pense tout de même que quand mes deux petites filles se promèneront dans le Rolex learning center, elles diront: «Ça, c’est grand-papa qui l’a fait construire!»

Vous avez tout de même le goût pour la construction de bâtiments-totems à votre mémoire, non?

J’assume totalement le fait d’avoir travaillé au développement d’un campus vivant parsemé de quelques bâtiments-totems! Pour le Rolex learning center, pour lequel les architectes ont remporté l’équivalent du prix Nobel d’architecture, on avait prévu 50 à 60 millions de francs. pour une bibliothèque «classique». Nous avons lancé un concours auquel ont participé quelques stars de l’architecture. J’ai dit à l’époque que je trouverais auprès de philanthropes l’argent pour le différentiel architectural.

Avez-vous joué avec le feu?

J’aime me mettre moi-même sous pression. Mais au final, nous avons levé plus de 50 millions de francs. Au contraire de ce qui a pu être fait ailleurs, et par exemple pour Equilibre, la salle de spectacle de Fribourg, nous avons préféré ne pas rogner le budget afin de conserver intact le concept architectural initial. Et je suis convaincu que ceci aura un impact positif sur le long terme.

Le Contrôle fédéral des finances (CFD) vous a fait des reproches sur votre conduite budgétaire. Vous êtes un excellent général, un super-visionnaire mais êtes-vous un bon gestionnaire?

En 17 ans, je n’ai jamais eu de budgets déficitaires! A l’époque, on a développé le partenariat public-privé (PPP). C’était parfaitement acceptable. Et tout à coup, la doctrine politique change. Je vous rappelle que, grâce au PPP, on a pu créer le quartier de l’innovation. C’est celui qui abrite plus de 100 start-up. Ce quartier est bénéficiaire et crée beaucoup d’emplois à haute valeur ajoutée. On me demande cependant si, dans 30 ans, nous aurons autant de start-up. Le risque zéro n’existe pas.

Après le quartier de l’innovation, vous avez bâti le quartier nord. Là, aussi, on peut vous faire des reproches, non?

Nous avons construit des logements d’étudiants, des commerces ainsi qu’un centre de congrès. Je vous rappelle que l’EPFL est en dehors de la ville de Lausanne. Vous ne pouviez pas acheter une aspirine sur le campus. Donc si vous construisez un millier de logements d’étudiants sur le campus ou à proximité, il faut aussi prévoir des infrastructures telles que des commerces. Ces recettes financent d’ailleurs partiellement le Centre de congrès.

Une infrastructure vraiment nécessaire?

Le centre de congrès est une infrastructure importante pour un campus d’une grande université de niveau mondial.

Quand le CFD écrit: «Vous êtes en dehors de ce que vous pouvez légalement faire dans une université». Que répondez-vous?

Je considère que les logements d’étudiants, les commerces, un centre de congrès font partie des éléments constitutifs d’un campus. Quand vous allez à Stanford ou au MIT, tous ces éléments sont présents. Le Centre de congrès permet l’organisation de grands congrès scientifiques et crée également un lien avec la société comme le récent salon planète santé, qui a été visité par près de 30 000 personnes.

Le CFD parle de «risque systémique»…

Si le Centre de congrès était vide toute l’année, il nous coûterait de l’ordre de 6 millions de francs. par année. Or, ce n’est absolument pas le cas puisque le taux d’occupation est très élevé. Le budget de l’EPFL étant de l’ordre de 1 milliard de francs par année, je ne considère pas que 6 millions constituent un risque systémique.

Mais quand même, vous avez un mode de gestion différent de celui de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich…

L’ETH Zurich dispose de deux fois notre budget. Pour être compétitif, nous devons donc aller chercher des moyens ailleurs. On obtient plus de subsides de l’Union européenne, on crée autant de start-up et on attire davantage de capital-risque pour la moitié moins de budget de la Confédération.

Ce que vous demandez, c’est de la liberté budgétaire?

Oui. Quand j’ai débuté ma présidence, nous avions un budget global. Aujourd’hui, nous avons un budget de fonctionnement et un budget de construction avec une complexification importante des procédures. Le danger c’est que nous ralentissions tout le système avec le risque de manquer des développements scientifiques. C’est un vrai risque.

Vous contestez avoir laissé un cadavre dans le placard à votre successeur Martin Vetterli?

Nous n’avons aucun cadavre dans nos placards. Le Centre de congrès constitue une fantastique opportunité pour l’école avec la possibilité d’organiser des grands congrès scientifiques qui aideront à rendre l’EPFL encore plus visible.

Vous mettez tout de même une sacrée pression à celui qui va vous succéder. Est-ce vrai qu’on vous a offert la direction d’Oxford?

Joker! Quant à Martin Vetterli, il a toutes les qualités requises pour reprendre l’institution. Il a été un de mes vice-présidents pendant 7 ans et connaît donc parfaitement l’institution. Nous avons également des parcours très similaires ayant tous les deux fait nos classes dans le système américain, lui à Berkeley, moi à l’Université de Brown.

Cette année, sur le campus, à combien s’élève le capital-risque investi?

Cette année, les start-up implantées sur notre campus ont levé 370 millions de francs de capital risque. En 2000, c’était seulement deux à 3 millions. L’EPFL crée entre une à deux start-up par mois. C’est un moteur important de l’innovation en Suisse (lire la suite sur la page suivante.)