Adapter la demande d'électricité à la production. Et non l'inverse.
Plutôt que d’aligner la production d’électricité sur la consommation ne serait-il pas possible d’adapter cette dernière à l’intermittence des énergies renouvelables? Interview de François Vuille, directeur du développement du Centre de l’énergie.
Midi sonne aux clochers. Des dizaines de milliers de cuisinières s’enclenchent. La Suisse va se mettre à table. En quelques secondes, la consommation d’électricité bondit de quelque 20%. Les vannes des barrages s’ouvrent: le courant injecté dans le réseau absorbe le pic de consommation. La production suit la demande.
Mais demain, en 2030 ou en 2050, comment l’énergie solaire éclairera-t-elle nos maisons un après-midi d’orage? Comment l’éolien fera-t-il bouillir la marmite un soir de calme plat? Plus d’énergies renouvelables de nature intermittente signifie moins de constance et de contrôle dans notre approvisionnement et une capacité réduite à faire face aux pics de consommation attendus ou soudains. La transition énergétique engagée nous oblige à innover et à revoir nos concepts. Une des options en vogue est d’inverser le paradigme de base et d’adapter la demande à la production d’énergie.
Interview de François Vuille, directeur du développement au Centre de l’énergie, co-organisateur d’une conférence sur le sujet qui se tiendra le 10 septembre à l’EPFL*.
Adapter la demande à l’offre d’électricité, n’est-ce pas le début du rationnement?
Pas du tout. Il ne s’agit absolument pas de toucher au confort et à la liberté des consommateurs. Ni de viser à réduire la consommation. Le concept de «demand- response», tel qu’énoncé en anglais, a pour but de rendre la demande plus flexible et mieux adaptée aux fluctuations d’une production plus intermittente telle que celle issue des énergies renouvelables. Déplacer la demande permettrait d’absorber les pics de production ou les pertes de puissance du solaire et de l’éolien, en fonction des caprices de la météo. C’est une option a priori moins onéreuse que les solutions de stockage ou de centrales électrique de réserve.
Il faudrait donc réduire son éclairage nocturne?
A nouveau, ce concept ne vise pas réduire mais à déplacer la demande, sans toucher à notre qualité de vie. La gestion de la demande ne concerne de loin pas toutes les applications ni tous les types d’appareils. Il ne s’agit pas de se priver de télévision ou d’éclairage le soir. En revanche, il est possible de différer l’utilisation de certains appareils comme les lave-vaisselle, les lave-linge ou la recharge d’un véhicule électrique. Les équipements à accumulation de chaleur ou de froid, tels que les réfrigérateurs, congélateurs, chauffe-eau et pompes à chaleur, recèlent en particulier un grand potentiel de modulation de leur consommation électrique. Ils peuvent sans problème être arrêtés pendant un certain temps, surtout s’ils ont pu accumuler du froid ou de la chaleur excédentaire avant leur mise à l’arrêt.
Comment gérer concrètement la demande?
Le premier moyen, déjà employé, consiste à mettre en place des incitations tarifaires. Il existe aujourd’hui, pour les consommateurs comme pour l’industrie, des tarifs jour/nuit. Ces tarifs pourraient suivre de manière plus précise le profil de production au fil de la journée. L’autre biais est celui des réseaux intelligents (smart grids) sur lesquels travaillent plusieurs laboratoires de l’EPFL. Les technologies développées incluent des systèmes intelligents capables, par exemple, de choisir le meilleur moment pour recharger une voiture électrique en fonction de la production d’électricité du réseau, du niveau de charge du véhicule et des besoins de son utilisation attendue.
Quel est le potentiel de ce concept?
Il reste encore à évaluer et sa viabilité économique n’est pas encore garantie. En Europe, nous bénéficions actuellement de prix très bas de l’électricité et la mise en place de ce concept, incluant notamment des systèmes de gestion intelligente, paraissent très difficiles à rentabiliser. Cependant, la donne pourrait changer, notamment si le prix du CO2 venait à augmenter et avec lui le prix de l’électricité. Les micro-réseaux, à l’instar de celui que nous testons sur le campus de l’EPFL et qui vont se multiplier ces prochaines années, exigent aussi une plus grande flexibilité de la demande d’électricité et un meilleur alignement sur l’offre.
Qu’en est-il du stockage de l’électricité dans la gestion de la demande?
Le stockage d’énergie est une autre option pour faire face à une production qui, du fait de la transition énergétique, deviendra de plus en plus intermittente. Loin de s’exclure l’une l’autre, le stockage et la gestion de la demande sont complémentaires dans la réflexion à long terme. D’autant que le stockage d’électricité reste aujourd’hui cher, et entraîne des pertes non négligeables.
*Conférence publique: Challenges and Opportunities of Demand Response in the Context of Energy Transitions, 10 septembre 2015, salle ELA1. Informations et inscription (obligatoire): www.irgc.org/event/demand-response.