A quand la fin du paradis privé en bord de mer?

Pour Michela Bonomo, il faut anticiper les actions à mener face à la montée des eaux annoncée d'ici 2100. © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Pour Michela Bonomo, il faut anticiper les actions à mener face à la montée des eaux annoncée d'ici 2100. © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

En citant sa thèse de doctorat en architecture, Michela Bonomo revient dans cette chronique sur l'idéologie de la villa de luxe en bord de mer et en montre les limites. Son texte a paru dans trois quotidiens romands. 

Le concept d'une villa en bord de mer remonte à l'Empire romain. L'idée de vacances d'été en Méditerranée est toutefois récente. Dans un livre, l'architecte suisse Philippe Rahm explore les origines des vacances d'été en les considérant sous l'angle de la science et de la médecine. En effet, les scientifiques du XIXe siècle ont fait des découvertes majeures sur les bienfaits de la mer et du soleil pour la santé et leur rôle dans la lutte contre les maladies chroniques, ce qui a favorisé les escapades en bord de mer pour échapper au froid. En particulier dans les classes aisées du nord de l'Europe.[1]

Tout à droite: La Villa La Saracena, construite par Luigi Moretti (1957) à Santa Marinella, une ville côtière située à 60 kilomètres de Rome. © Michela Bonomo

Naissance d’une idéologie

Les escapades en mer, y compris sur la Riviera italienne, sont devenues particulièrement populaires après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette tendance, combinée à la première révolution industrielle en Italie, à une mobilité sociale croissante et à la projection d'un sentiment de sécurité et de bien-être, a fait renaître le rêve et l'idéologie de la villa de bord de mer.[2] Certaines villas des plus expérimentales et technologiquement avancées ont été construites pendant cette période le long du paysage principalement côtier de l'Italie, devenant souvent des œuvres remarquables dans les portefeuilles des architectes et une occasion pour eux d'«aller jusqu'au bout».

Ma thèse de doctorat à l'EPFL examine la prolifération matérielle et idéologique des villas de vacances en bord de mer dans l'Italie d'après-guerre, en se concentrant sur six artefacts construits par d'éminents architectes entre 1958 et 1973. La recherche se situe dans le courant des études qui réévaluent de manière critique les objets de luxe, tels que les villas, dans le domaine de l'histoire et de la théorie de l'architecture.

Avec plus de quarante zones côtières menacées de disparition en Italie d'ici 2100, cette question devrait être au cœur des préoccupations.

Michela Bonomo

Problème environnemental

Les zones côtières étant fortement menacées par le réchauffement climatique, l'étude de l'histoire du voyage de luxe et des villas de vacances est à la fois cruciale et urgente. Ma thèse nous encourage à repenser les pratiques de construction spéculative qui affectent le bord de mer – pratiques qui se poursuivent sans relâche à ce jour, et pas seulement dans le bassin méditerranéen. Avec plus de 40 zones côtières menacées de disparition en Italie d'ici 2100, cette question devrait être au cœur des préoccupations de la recherche, des historiennes et historiens et des responsables politiques.[3]

Une façon de faire la lumière sur cette question serait d'utiliser ces villas – souvent occupées que quelques semaines par an – comme des capsules temporelles pour la recherche en les ouvrant aux artistes, aux historiennes, historiens et chercheuses et chercheurs.

Leur travail pourrait contribuer à documenter les connaissances tacites sur l'histoire de ces bâtiments et à révéler des acteurs cachés. Ces résultats pourraient être utilisés pour appeler les responsables politiques à protéger les zones naturelles d'un développement excessif, en reconnaissant le bord de mer comme un bien public pour toutes et tous.

Des villas de luxe en bord de mer à Santa Marinella, une région étudiée par Michela Bonomo. © 2023 / Michela Bonomo

Michela Bonomo, doctorante au Laboratoire de Théorie et projet de l’espace domestique (TPOD), EPFL

[1] Rahm, Philippe. Natural History of Architecture: How Climate, Epidemics and Energy Have Shaped the City and Buildings. Paris: Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2020.

[2] Ginsborg, Paul. A History of Contemporary Italy: Society and Politics, 1943–1988. New York, NY: St. Martin’s Griffin, 2003.

[3] Gainsforth, Sarah. “Cosa resta delle spiagge italiane,” Internazionale, 30 August 2023.

  • Cette chronique est parue en mars 2025 dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître auprès du grand public la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction.
Références

Michela Bonomo, “Guilty Pleasures: The Project of Seaside ‘Villamania’ in Postwar Italy (1958-1973)”, co-supervised by Pier Vittorio Aureli and Christophe Van Gerrewey, EPFL, 2025.