A quand la fin de la «périurbanisation» en Suisse?
Les politiques publiques visant à freiner l’étalement urbain ont des effets limités, indique dans cette chronique Mathias Lerch, chercheur à l’EPFL. Le chercheur cite une étude menée par son laboratoire sur la périurbanisation en Suisse depuis les années 1960.
Les migrations internes de la seconde moitié du 20e siècle ont redistribué en Suisse la population des centres-villes encombrés vers les périphéries peu peuplées des agglomérations urbaines – un processus appelé «périurbanisation». On le sait, celle-ci a des conséquences négatives sur l'environnement et la santé des populations (augmentation des émissions de gaz à effet de serre, espèces invertébrées et réserves d'eau souterraine décimées, exposition à la pollution et effets d'îlot de chaleur).
Afin de limiter ce processus, les pouvoirs publics suisses ont engagé des projets de construction de logements à grande échelle dans les centres-villes, ont défini des moratoires sur le zonage de nouvelles parcelles constructibles, ont révisé la loi sur l'aménagement du territoire et ont limité le nombre de résidences secondaires. A l’EPFL, notre Laboratoire de démographie urbaine a essayé de comprendre si ces mesures ont mis fin à la périurbanisation en analysant l'évolution de la géographie urbaine des déplacements résidentiels en Suisse depuis les années 1960.
Phénomène passager
Au début du 21e siècle, après quatre décennies de périurbanisation, il apparaît que certaines villes ont connu pour la première fois davantage d’arrivées que de départs de jeunes en âge de scolarité et de population en âge de travailler, jeune et hautement qualifiée. Dans les années 2010, la périurbanisation a toutefois repris. Pourquoi le retour en ville n'a-t-il pas perduré? Notre analyse montre que certains effets périodiques spécifiques se sont estompés avec le temps.
La gentrification et la flambée des prix des loyers ont entraîné l'expulsion des familles et de la population estudiantine vers la périphérie urbaine.
Au début du 21e siècle, le nombre d'établissements d'enseignement supérieur a par exemple considérablement augmenté, attirant de nouveaux élèves dans les centres-villes, où le réaménagement des friches industrielles a également permis de créer de nouveaux logements abordables. Par la suite, la gentrification et la flambée des prix des loyers ont entraîné l'expulsion des familles et de la population estudiantine vers la périphérie urbaine. La croissance récente de la population dans les centres-villes était donc essentiellement due au pic historique de la migration internationale, plutôt qu'interne. D’autres études montrent que la moitié de ces migrantes et migrants internationaux quittent la Suisse après 5 ans de résidence, tandis que l’autre moitié a tendance à préférer se reloger dans les zones périurbaines.
Pas d’effets sur le terrain
Nous observons aussi que les pouvoirs publics fixent des limites qui ne sont pas toujours suivies d'effet sur le terrain. A Genève, de grands projets de développement de logements urbains ont été rejetés en votation populaire. Dans un jeu de concurrence pour attirer les contribuables de l'agglomération de Zurich, certaines communes ont déjà épuisé les réserves de zones à bâtir accordées par les autorités cantonales pour les prochaines décennies. En outre, les logements dans les centres-villes gentrifiés sont devenus très chers. Les ménages défavorisés et les familles de la classe moyenne n'ont donc pas d'autre choix que de se déplacer vers la périphérie urbaine.
Mathias Lerch, directeur du Laboratoire de démographie urbaine (URBDEMO), EPFL
- Cette chronique est parue en février 202e dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.