A l'ombre, sous la canopée
Dans cette chronique, parue en français dans la presse romande, Jérôme Chenal, Directeur de la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire (CEAT), donne des exemples d’aménagements susceptibles de rendre les villes plus résilientes face au changement climatique.
La Suisse découvre avec stupeur qu’après avoir eu trop chaud cet été, elle risque d’avoir trop froid cet hiver. Après deux ans de port de masques chirurgicaux et de mobilité contrainte, le monde d’ «après» est finalement moins poétique que prévu. Cette situation montre, entre autres, les limites de nos systèmes urbains et l’urgence avec laquelle nous devons repenser nos villes et, plus globalement, nos territoires.
Il a fait chaud, très chaud, et les nuits tropicales sont de plus en plus nombreuses en été. Il faut un coupable pour ces îlots de chaleur urbain; ce sera la densité, sans interroger les causes de ces températures élevées. Mais cette densité du bâti n’est qu’un chiffre, une relation entre la surface du sol et la surface des bâtiments, rien de plus. Les villes peuvent revêtir des formes urbaines très différentes avec la même densité. La densité dans les villes suisses doit rester une solution, elle n’est pas remise en cause, mais il est nécessaire de la repenser.
La végétalisation est une des manières de diminuer drastiquement les températures. On a tous fait l’expérience du passage sous une allée d’arbres en plein été. Lausanne s’est lancée dans une campagne de végétalisation, toutes les villes devraient suivre le pas. Il faut pour cela rendre perméables les larges zones de nos villes imperméables.
La densité dans les villes suisses doit rester une solution, elle n’est pas remise en cause, mais il est nécessaire de la repenser.
Multiplier les sources d’énergie
Il va faire froid, très froid cet hiver. La consommation effrénée d’électricité est le talon d’Achille des villes. L’électricité est difficilement stockable. La voiture électrique, c’est du streaming; on tire la prise et tout s’arrête. Idem pour les bâtiments qui ne sont pas autonomes et les propriétaires de panneaux n’auront pas plus d’électricité et seront coupés de la même manière que les autres, si nous devons faire face à la pénurie.
La réflexion doit ainsi porter sur le stockage et la multiplication des sources d’énergie. Le chauffage à 19° pour tous est sans doute une bonne mesure, mais la plupart des chauffages ne sont pas électriques. La résilience d’un système est sa capacité à supporter les crises et le tout électrique, même renouvelable, nous envoie dans le mur.
Enfin le Covid n’a pas redessiné les centres-villes, mais bien accéléré leur mort commerciale. La logistique urbaine et les flux de biens vont être au centre de l’attention des gestionnaires urbains. Internet, DHL, FedEx et les autres ont pris le contrôle quasi total de nos achats.
Il y a un lien direct entre la perte de la biodiversité et la progression des pandémies. Il est donc urgemment nécessaire de recréer des espaces naturels prenant en compte ces données.
Animer les rues
Les urbanistes parlent d’ «activer les espaces»; il faudra le faire avec d’autres ingrédients que le seul commerce pour «animer» les rues. Le commerce disparu, il va falloir redéfinir le rôle des rues, en refaire des lieux d’habitation et non uniquement des lieux de mobilité et d’achat.
Mais avec le Covid, c’est aussi la question de la biodiversité. Il y a un lien direct entre la perte de la biodiversité et la progression des pandémies. Il est donc urgemment nécessaire de recréer des espaces naturels prenant en compte ces données.
Finalement, avec des rues rendues aux habitants, vertes, diverses et l’autonomie des bâtiments, ces crises successives sont peut-être une bonne nouvelle pour nos villes. Elles pourraient sortir de l’omniprésence des commerces, pour repenser les espaces verts, les usages des rues, et redevenir un lieu de vie pour ses habitants, à l’ombre, sous la canopée.
Cette chronique est parue dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), en octobre 2022 dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.