«A l'image des artistes, les bons profs ont un style reconnaissable»

Michael Unser, meilleur enseignant 2022 de la section de microtechnique de l’EPFL © 2023 EPFL

Michael Unser, meilleur enseignant 2022 de la section de microtechnique de l’EPFL © 2023 EPFL

Une mère artiste, un père scientifique: l’art et la science coulent tous deux dans les veines de Michael Unser. Cela tombe bien: à l’image de l’art, les maths aspirent à la justesse, à la clarté et à la simplicité, selon le meilleur enseignant 2022 de la section de microtechnique de l’EPFL.

Art, science. Science, art. Ce duo revient inlassablement lorsqu’on s’entretient avec Michael Unser. «Ma mère était artiste, mon père scientifique; logiquement, mon parcours est une combinaison des deux», relève le professeur. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il choisir?, s’interroge celui qui a été désigné en 2022 meilleur enseignant de la section de microtechnique de l’EPFL. Comme pour asseoir son propos, il se retourne et désigne affectueusement deux tableaux qui ornent le mur de son bureau. «L’un a été peint par ma mère, l’autre par ma sœur.»

Selon le responsable des cours «Signaux et systèmes», l’art et la science présentent de nombreux points communs. Pour illustrer cette affirmation, il n’a pas à aller chercher plus loin que son propre domaine d’activité: «La musique est un très bel exemple de signal.» Le signal acoustique est une variation de la pression acoustique en fonction du temps, porteur d’information. «Le fichier MP3 est un exemple canonique de signal discret stocké dans un ordinateur ou un smartphone.» De façon plus générale, «les mathématiques aspirent à la justesse, à la clarté, à la simplicité; en ce sens, ils s’apparentent à l’art au sens large».

Signe prémonitoire?

Au moment de choisir sa voie professionnelle, Michael Unser y est allé au coup de cœur. «J’aimais construire des choses; je me suis dit ‘Ingénieur, ce serait pas mal…’.» Était-ce un signe prémonitoire de la longue et riche carrière d’enseignant qui l’attendait à l’EPFL? C’est dans la haute école des bords du Léman qu’il a obtenu aussi bien son Master que son doctorat en génie électrique, avant d’aller lui faire des infidélités durant une dizaine d’années au National Institutes of Health de Bethesda (Maryland), dans le domaine de l’imagerie biomédicale. Non sans affûter, parallèlement, ses talents de guitariste classique amateur. «Cet instrument a une importance énorme dans ma vie; sa pratique assidue constitue mon yoga, ma manière de compenser le stress.» Scientifique le jour, artiste le soir.

Il faut dire que du stress, la vie de professeur n’en est pas dénuée. Michael Unser cite notamment l’administration, la recherche de fonds ou encore la compétition. Reste qu’après plus de 25 ans en tant que membre du corps enseignant de l’EPFL, il est en mesure de l’affirmer haut et fort: «Ici, aucun professeur n’a envie de prendre sa retraite et je ne déroge pas à cette règle!» Il s’explique: «Il y a une véritable beauté dans l’enseignement, comme dans la recherche d’ailleurs.» Une beauté accentuée par le fait que «notre institution est l’une des meilleures universités d’Europe francophone et que nos étudiants sont très motivés».

L’intuition avant la rigueur

Très motivé dans ses fonctions d’enseignant, Michael Unser l’est lui aussi, comme le montre sa charge de cours, la plus importante de toute la faculté des Sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL. «Le principal défi dans mon domaine, du moins en ce qui concerne les cours ‘Signaux et systèmes’ (ndlr: consacrés notamment à la présentation des concepts et outils de base pour la caractérisation des signaux, ainsi que pour l’analyse et la synthèse des systèmes linéaires), découle du fait qu’ils reposent sur une matière aussi sophistiquée qu’incroyablement difficile.»

Concrètement, «il y a 200 ans de mathématiques derrière ces cours», précise-t-il. Or, comment véhiculer toute la densité, la complexité et la rigueur de théories remontant à l’époque de Joseph Fourier et trouvant leur forme définitive sous Laurent Schwartz sans effrayer, décourager, voire perdre les étudiants? Contre toute attente, le professeur a décidé d’avoir recours à l’intuition de son auditoire. «Mes étudiants commencent par sentir la matière.» En guise de prélude, «je leur fais souvent deviner les concepts de base – en particulier la nécessité d’évoluer dans un espace abstrait de dimension infinie – en développant des analogies». C’est seulement dans un deuxième temps que «je leur assène la théorie lourde et sèche». Or, jongler entre les deux, intuition et théorie, «est d’autant plus compliqué qu’il faut rester rigoureux».

Des failles lourdes de conséquences

A propos de rigueur: en «creusant un peu», le chercheur a découvert que certains manuels classiques utilisés depuis longtemps dans les universités contenaient des erreurs. «Si la base de l’enseignement comporte des failles, cela peut avoir une incidence sur l’ensemble de l’apprentissage.» Un état de fait inacceptable à ses yeux. Le professeur a notamment publié un article dans lequel il déduit la condition nécessaire et suffisante pour la stabilité d’un système dit BIBO (bounded-input, bounded-output), «le critère standard s’avérant malheureusement inexact».

Ce combat infatigable pour un enseignement aux fondations solides serait-il la «patte Unser»? La question fait sourire le principal intéressé. «Peut-être bien! Et le cas échéant, j’en serais ravi.» Il s’explique: «A l’image des artistes, les bons scientifiques – et par extension les bons enseignants – ont souvent un style reconnaissable.»


Auteur: Patricia Michaud

Source: People

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