À l'EPFL, des femmes de génie (civil)

Méryl Schopfer et Julie Devènes, étudiantes en Master Génie civil à l'EPFL, dans la halle hydraulique où est testé un projet de barrage sur le Rhône. © 2021 Alain Herzog

Méryl Schopfer et Julie Devènes, étudiantes en Master Génie civil à l'EPFL, dans la halle hydraulique où est testé un projet de barrage sur le Rhône. © 2021 Alain Herzog

Série Journée internationale des femmes - Comme d'autres sections de l'EPFL, le cursus en Génie civil peine à attirer plus de 25% de filles dans ses effectifs. Pourtant la volonté est là de rendre attractives ces études et l’étendue très diverse de métiers auxquels elles donnent accès. Les étudiantes en Bachelor et Master GC expliquent leur choix et réfléchissent aux solutions pour féminiser les promotions.

Au moment de choisir son orientation post-maturité au collège de Saint-Maurice, Méryl Schopfer n’a pas hésité : ce serait l’EPFL. Passionnée depuis l’enfance par la manière dont sont construits les bâtiments, et considérant ses très bonnes notes en mathématiques et physique, la jeune fille se sentait « poussée » vers le Génie civil. « Tout ce qui nous entoure m’intéresse tellement, je me suis dit que ce serait l’occasion de répondre à plein de mes questions. » Aujourd’hui en première année de Master, elle n’a jamais regretté son choix. Normal à ses yeux, il avait pourtant quelque chose d’exceptionnel : au sein de son option Physique-Application des Maths, dans une classe très largement masculine, elle est la seule fille à s’être orientée vers l’ingénierie.

Malgré une évolution considérable au cours des dernière décennies, les cursus préparant aux métiers de l’ingénieur, dont le Génie civil, peinent à attirer des étudiantes. A l’EPFL, elles sont entre 20 et 25% dans les effectifs de Bachelor et Master GC, une moyenne qui tend à stagner. Les raisons sont multiples, de l’image populaire du métier aux stéréotypes véhiculés par la société, en passant par la crainte d’évoluer dans un milieu majoritairement composé d’hommes.

Une partie de la solution réside dans le fait de donner une image plus fidèle de ce qu’est le Génie civil

Lyesse Laloui, directeur de la section Génie civil de l’EPFL

« L’ingénierie suppose beaucoup de compétences en spécialités dures, maths et physique, pour lesquelles il y a en général dès le gymnase plus de garçons que de filles. Le Génie civil a aussi cette étiquette erronée du bétonneur dans la construction, qui peut créer une attraction chez certaines ou une répulsion chez beaucoup d’autres. Une partie de la solution réside dans le fait de donner une image plus fidèle de ce qu’est le Génie civil, ce qui apporterait une ouverture plus importante », analyse le professeur Lyesse Laloui, directeur de la section de Génie civil de l’EPFL, au sein de la Faculté de l'environnement naturel, architectural et construit (ENAC).

Vision réductrice du chantier

Construction de barrages, gestion des flux, véhicules autonomes, énergie, stockage du CO2… L’ingénierie civile englobe des spécialités très diverses dans le numérique, la modélisation et l’intelligence artificielle, loin de la vision réductrice du seul chantier, encore vu dans la société comme un univers plutôt masculin. « A l’école, j’étais plutôt intéressée par l’architecture, mais je trouvais que c’était trop artistique pour moi. Je me suis tournée vers le GC qui était à mon sens un bon entre-deux avec le monde scientifique, mais sans vraiment connaitre ce métier. Toutes les premières images que j’en avais, c’est ce chantier, le béton, tout ce qui n’est pas très sexy… Au final, j’ai découvert plein de domaines super intéressants », témoigne Julie Devènes, étudiante en deuxième année de Master GC.

Pour être plus attractif, le domaine du génie civil veut se démarquer de l'image stéréotypée et réductrice du casque, du béton et du chantier. © IStock

Elle aussi se rappelle sa filière pré-gymnasiale avec l’option maths-physique à Busigny, où les filles étaient très peu nombreuses. « C’était déjà une étape à franchir de choisir cette option, presque toutes mes copines faisaient autre chose. Au gymnase, en maths-physique aussi, on était 8 filles sur 24. » Pas de quoi lui faire changer de voie : « Pour moi, le plus important était de faire quelque chose où j’étais à l’aise », sourit la jeune femme.

Difficile de savoir pourquoi les filles ont moins tendance que les garçons à s’orienter vers les mathématiques et la physique, même si l’éducation parentale et scolaire ou l’image de ces matières véhiculées par la société jouent sans doute un rôle. Halime Wawa Dahab, qui a fait son lycée scientifique dans le système français avant d’intégrer une prestigieuse classe préparatoire en maths et physique à Paris, en donne un exemple : « Mon prof principal au lycée me disait que je n’aurais jamais cette prépa, malgré mes bonnes notes. Je ne sais pas si c’était un manque de confiance en moi ou s’il pensait que je serais moins performante, mais je sais qu’il rabaissait un peu moins les garçons qui avaient fait les mêmes choix. Et au final, j’ai été prise et pas les autres », explique l’étudiante, désormais en troisième année de Bachelor GC.

« On dit que les maths c’est un peu plus pour les garçons. Mais ce n’est pas vrai du tout, la preuve je suis une fille, et ça m’intéresse aussi », témoigne Rosa Schnebli, étudiante en deuxième année de Bachelor GC. Elle qui avait pris l’option langues au gymnase à Zurich démontre que les passerelles sont aussi possibles. « Au début, quand tout est nouveau, c’est peut-être un peu plus simple si on a vu quelques notions. En analyse, algèbre et physique, j’avais un peu de mal. Mais maintenant, je ne trouve pas que ce soit difficile, ça ne change rien d’avoir fait langues. »

Au niveau des résultats, les performances sont les mêmes. Il y a une belle mixité dans les groupes lors des projets

Marie Viollay, professeure assistante tenure track en Génie civil

« Pas de disparités »

Une fois franchies les portes de l’université, aucune distinction n’est faite entre les étudiants et les étudiantes. « La crainte de faire face à des préjugés en tant que femme n’a pas lieu d’être dans le Génie civil selon moi. A l’EPFL, il n’y a pas de disparités ; depuis longtemps, les filles sont considérées comme les garçons. Je ne vois aucune différence dans les cours, les représentations, la commission d’enseignement. Il y a une égalité totale », affirme Lyesse Laloui. Lors des journées de présentation de la section dans les gymnases suisses, le message est toujours accentué que le domaine convient parfaitement aux deux sexes, que seule compte la motivation. En moyenne, les filles ont même souvent de meilleures notes en projet de Master.

« Au niveau des résultats, les performances sont les mêmes. Les étudiants et étudiantes sont mélangés dans la salle, et il y a une belle mixité dans les groupes lors des projets », confirme Marie Violay, professeure assistante tenure track en Génie civil.

Vers plus de professeures

La lente - et relativement récente – féminisation du métier se traduit aussi par une sous-représentation des professeures et enseignantes. A l’EPFL, y compris au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC) dont dépend la section GC, un effort important est mené pour promouvoir les postes ouverts auprès des femmes. Un rapport commandé par l’École sur la condition du corps professoral féminin, publié en 2020, dresse une liste de 16 mesures pour améliorer ces conditions, prises en compte par la nouvelle Vice-présidence pour la transformation responsable. Mais la transition prendra nécessairement du temps.

Il est motivant et inspirant d’avoir des profs féminines

Méryl Schopfer, étudiante en première année de Master

« Pour avoir beaucoup d’enseignantes, il faudrait avoir beaucoup de doctorantes. Il faut former des gens, et ce n’est pas forcément gagné car le nombre d’étudiantes qu’on a n’est pas très élevé. Il n’est pas évident pour la section de recruter des femmes car le réservoir n’est pas très large », constate Marie Violay. « On est 20% maintenant, mais elles étaient beaucoup moins à l’époque où nos profs étaient étudiants. Que le corps professoral actuel reflète ce manque de diversité ne me dérange pas, même s’il est motivant et inspirant d’avoir des profs féminines », complète l’étudiante en Master Méryl Schopfer.

La présence accrue de femmes dans le corps professoral et dans les différents domaines de l’ingénierie civile pourra aussi permettre d’attirer davantage de filles, qui pourraient plus facilement s’identifier à des modèles. « C’est dur de se projeter dans un métier quand toutes les personnes qui t’en parlent sont des hommes, abonde Julie Devènes. J’espère qu’il y aura de plus en plus de femmes dirigeantes d’entreprise. Il faut ouvrir la voie. »