1969-2019, la trajectoire à succès de l'EPFL

Vue aérienne du campus, juin 2017 © Alain Herzog / EPFL

Vue aérienne du campus, juin 2017 © Alain Herzog / EPFL

Son histoire est plus longue que son âge. Née en 1853 d’une initiative privée, l’Ecole polytechnique de l’Université de Lausanne (EPUL) a acquis son statut fédéral il y a un demi-siècle. Notre dossier plonge dans le passé, en une sélection forcément non exhaustive de dates et des témoignages. L’année 2019 sera ponctuée d’événements pour célébrer ce jubilé.

Quand Maurice Cosandey prend la direction de l’Ecole polytechnique de l’Université de Lausanne (EPUL), le 1er avril 1963, il ne plaisante pas. Il n’a pas de stratégie, mais il annonce un objectif: « Faire de cette école cantonale une école polytechnique fédérale ». Six ans plus tard, l’EPUL devient l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), deuxième du pays à porter ce qualificatif après celle de Zurich. Bien que son histoire remonte au milieu du XIXe siècle, l’EPFL fêtera ses 50 ans de fédéralisme en 2019. C’est l’occasion de regarder dans le rétroviseur et de constater que tout a changé et… rien n’a changé.

De l’Ecole spéciale de Lausanne, née en 1853, il reste les noms Ecole et Lausanne. Pourtant dès le départ, ses cinq fondateurs ont pour ambition l’excellence et le rayonnement au-delà des frontières de la capitale vaudoise. Ils souhaitent « former en Suisse de bons ingénieurs ». En effet, les enfants de la deuxième révolution industrielle, qui a vu naître l’électricité et la chimie, sont jusque-là obligés de fréquenter les grandes écoles françaises ou allemandes. Rapidement, l’Ecole acquiert la réputation d’être « une institution difficile et sélective », reflet de sa qualité. Les premiers diplômes sont décernés en 1855, quelques semaines avant l’ouverture de l’Institut polytechnique de Zurich…

Une vieille idée

Pour justifier un statut fédéral, Maurice Cosandey affiche les mêmes arguments : « Le développement international des universités techniques. On voyait que tout le monde avait besoin de laboratoires nouveaux, d’équipements techniques. Je me disais que si on ne devenait pas une école fédérale, on n’aurait jamais les moyens pour être compétitif », se souvenait l’ancien président dans EPFL Magazine, en octobre 2016.

Mais la partie n’est pas gagnée: en 1903 déjà, Adrien Palaz, directeur de ce qui s’appelait encore l’Ecole d’ingénieurs de l’Université de Lausanne, lance l’idée. En 1934, l’Ecole tente d’obtenir des crédits de la Confédération. Refusés. Il faudra deux bonnes fées, cantonale et fédérale, pour que Maurice Cosandey réussisse. Avec le conseiller d’Etat Jean-Pierre Pradervand, ils prennent leur bâton de pèlerin, direction Berne. Au Schweizerhof, de façon informelle, ils exposent leur projet au conseiller fédéral Hans Peter Tschudi. « Je vais vous appuyer dans cette demande en raison de l’excellence de votre Ecole », conclut le chef du Département fédéral de l’intérieur.

Un « instant historique »

En 1968, les deux chambres du Parlement acceptent à l’unanimité la création d’une seconde EPF. La même année, les députés vaudois avalisent le transfert à la Confédération à l’unanimité. «Réflexion faite, c’est plutôt un sentiment de fierté qui nous habite en cet «instant historique » (…) Car enfin, même si elle n’est plus strictement vaudoise, l’EPFL – c’est son nouveau sigle – reste à Lausanne. Il ne fait aucun doute que le «Poly » a été l’un des éléments déterminants dans le développement de l’agglomération zurichoise; il serait vraiment étonnant qu’il n’en aille pas de même pour la région lausannoise », commentait le journaliste Jean-Bernard Desfayes, dans La Gazette de Lausanne du 8 mai 1968. L’EPFL naît officiellement le 1er janvier 1969.

On connaît la suite. Le statut fédéral entraîne l’agrandissement, la construction de bâtiments pour plus de 700 millions de francs (de l’époque) et le déménagement progressif de tout l’enseignement à Ecublens. Parallèlement, chaque président ajoute sa pierre à l’édifice. Devenue polytechnique en 1946 avec l’arrivée de l’architecture, l’Ecole ne se cantonne déjà plus à la formation des ingénieurs. S’ajouteront l’informatique, la microtechnique, les systèmes de communications, les sciences de la vie et deux collèges. Parallèlement, l’EPFL ancre son assise en Suisse romande avec la création de sites à Genève, Fribourg, Neuchâtel et en Valais.

En plongeant dans les archives de l’Ecole et de la presse de l’époque, on se rend compte encore que la plupart des préoccupations et constats d’aujourd’hui ont toujours été présents : la place des femmes, la responsabilité sociale de l’ingénieur face aux nouvelles technologies, l’éthique, l’enseignement des sciences humaines, le positionnement par rapport à la sœur zurichoise, les relations avec l’industrie, les financements public et privé, la coopération, une forte présence d’étudiants et de professeurs étrangers, la recherche fondamentale, la place de la science et le rôle de la technique dans la société, l’intégration dans le tissu local… Sans doute une part de la recette de son succès.

Tout change, rien ne change. Au fil de ses cinq appellations et de ses 16 présidents, l’Ecole poursuit de façon exponentielle ses ambitions originelles d’excellence et de rayonnement. Objectifs largement atteints puisque l’EPFL figure aujourd’hui parmi les meilleures universités du monde.

Trois (longues) carrières à l'EPFL

Témoignages de vieux briscards qui ont vécu l’évolution du campus de l’intérieur.

Minh Quang Tran – physicien

A l’EPFL depuis 1968

Né en 1951, Minh Quang Tran fait partie de la première volée de diplômés de l’EPFL. Il a été successivement élève, doctorant puis professeur pour l’Ecole. Aujourd’hui professeur honoraire, il reste employé par l’EPFL en tant que spécialiste de la physique des plasmas pour le projet européen de réacteur de fusion DEMO, EUROfusion.

« Quand j’ai commencé mes études en 1968, nous étions encore dans des bâtiments situés à l’avenue de Cour, en ville de Lausanne. C’était le président Maurice Cosandey qui officiait à l’époque et comme les bureaux de la présidence étaient au rez-de-chaussée, on le rencontrait assez souvent, par hasard. En hiver, il avait un chapeau qu’il soulevait toujours pour nous saluer.

Mais la personnalité marquante pour notre volée, c’était Bernard Vittoz (futur président de l’EPFL, ndlr). En tant que conseiller de classe, il nous a suivi durant toutes nos années d’études et même après, on a toujours gardé contact. Il venait aux sorties de classes pratiquement jusqu'à son décès. »

Toute une logistique

« Avant le déménagement à Ecublens, nous devions nous déplacer entre les différentes salles de classe du centre-ville à l’avenue de Cour et à l’ancienne polyclinique du CHUV. Ça faisait beaucoup de trajets. Pour être à l’heure au cours suivant, il fallait donc négocier avec les professeurs pour finir plus tôt. Plus tard en tant que chercheur, j’ai continué à faire des allers-retours entre mon laboratoire, qui était alors à l’avenue des Bains, et le site d’Ecublens, où les premiers bâtiments avaient été construits pour y donner des cours aux étudiants. »

Croissance positive

« A l’époque, il était possible d’acheter les horaires de toutes les sections pour une année d’études, ça tenait sur une feuille A0 et nous recevions nos diplômes tous ensemble, réunis dans la même salle. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui ! Avec les années, le nombre d’étudiants a grandement augmenté. J’ai aussi vu la qualité et l’impact scientifique de l’Ecole augmenter exponentiellement. Rien que du superpositif ! »

Jean-Robert Gros – responsable technique et logistique à Archizoom

A l’EPFL depuis 1974

Né en 1954, Jean-Robert Gros commence à travailler à l’Institut de géodésie et de mensuration de l’EPFL en 1974. Il vient de terminer son CFC de dessinateur-géomètre et c’est son premier emploi. Depuis, il n’a pas quitté le campus.

Evolution technologique

« Un des plus grands plaisirs que j’ai eu, c’est d’avoir accès aux nouvelles technologies. En tant que dessinateur-géomètre, j’ai commencé avec une règle à calcul et une machine à calculer électrique.

A l’EPFL sont venues les calculatrices électroniques avec fonctions trigonométriques puis les ordinateurs. Idem pour les systèmes de mesure des distances. Nous sommes passés d’un système mécano-optique à travers un théodolite, à la mesure par infrarouges, pour arriver au GPS actuel. Dans un bureau privé, je ne pense pas que j’aurais connu tout ça, ou en tout cas pas aussi vite. »

« J’ai eu la chance incroyable de participer à la construction du Tokamak (l’appareil de recherche en fusion du Swiss Plasma Center de l’EPFL, qui est en fonction depuis 1992, ndlr). Nous avions d’abord fait des mesures de stabilité de la génératrice, puis pour l’implantation de certaines pièces qui le composent. »

Contact humain

« Pendant toutes ces années, c’était très enrichissant de côtoyer des ingénieurs qui venaient de l’étranger et travailler avec des étudiants a été un vrai bonheur. Ils rajeunissaient chaque année, donc je ne me suis pas trop vu vieillir ! Depuis 2003, j’ai un poste à Archizoom (un musée de l’EPFL, ndlr). Là aussi, j’apprécie spécialement le contact humain, notamment avec des collègues d’autres services, avec qui je collabore pour l’organisation des expositions. »

Alain Herzog – photographe

A l’EPFL depuis 1983

Né en 1959, Alain Herzog effectue d’abord une formation de mécanicien de précision et se lance ensuite dans la photographie. Il choisit l’EPFL pour réaliser son année de stage nécessaire à l’obtention d’un diplôme à l’Ecole d’arts appliqués de Vevey. C’était à l’Institut d’analyse des contraintes, un laboratoire de l’EPFL qui utilisait beaucoup de méthodes optiques pour des mesures de génie civil.

« J’ai ensuite eu l’opportunité d’ouvrir un atelier photo sur place. A la base, je travaillais surtout pour le génie civil en tant qu’assistant de construction, mais j’ai peu à peu construit un réseau de contact et étendu mon activité à tout le campus. »

Communiquer sur la science

« A l’époque de l’argentique, je me souviens que beaucoup d’étudiants faisaient appel à moi pour photographier leurs travaux de semestre et de fin de diplôme. En 1995, j’ai mis en place un service de développement et de tirages couleurs Kodak Express sur le site de l’EPFL. C’est aussi dans ces années-là que le Flash, le magazine de l’EPFL de l’époque, est passé à la photo en couleurs. Avant, tout se faisait en noir-blanc. Tout ça a complètement disparu aujourd’hui avec l’avènement du numérique. »

« Parmi mes meilleurs moments à l’EPFL, je me souviens du 700e anniversaire de la Confédération pour lequel chacun des 13 départements de l’Ecole présentait l’évolution des techniques dans le temps. C’est à cette occasion que le bâtiment Polydôme a été construit et, au départ, ce devait être une construction provisoire. Je me revois en train d’installer des éléments d’exposition à l’intérieur du bâtiment alors que les vitres n’étaient pas encore installées et qu’un orage grondait au-dehors. On installait des bâches pour les protéger. Un moment épique ! Après cela, j’ai continué à participer à l’organisation de ce genre d’événement sur le campus. Ça a toujours été très sympa. »