1100 km pour comprendre l'eau atmosphérique en Antarctique
Une équipe de quatre chercheurs, dont Alexis Berne de l’EPFL, a obtenu jeudi un « Synergy Grant » du Conseil européen de la recherche pour un important projet de mesures inédites en conditions extrêmes du cycle atmosphérique de l’eau en Antarctique.
C’est la région la plus isolée de la planète. L’Antarctique, au Pôle Sud, est la région la plus froide du monde, recouverte à 98% d’une épaisse couche de glace offrant une nature quasiment vierge. Par son emplacement privilégié, ce continent grand comme 1,5 fois l’Europe a une importance centrale dans le système climatique mondial. Il représente une source essentielle pour l’étude de l’environnement, notamment du changement climatique.
Professeur associé à la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit, et directeur du Laboratoire de télédétection environnementale, Alexis Berne s’est rendu à plusieurs reprises en Antarctique. Ce spécialiste en hydrométéorologie radar et en microphysique des précipitations en milieux montagneux et polaire cherche à comprendre les principaux processus impliqués dans les chutes de neige dans ces régions.
Conjointement avec Valérie Masson-Delmote, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Christophe Genthon, du Centre nationale de la recherche scientifique, et Thomas Dubos, de l’École Polytechnique, Alexis Berne a obtenu le 5 novembre un « Synergy Grant » du Conseil européen de la recherche (ERC) à hauteur de 14 millions d’euros pour le projet AWACA (Atmospheric WAter Cycle over Antarctica). Prévu pour durer six ans, ce projet interdisciplinaire seconcentre sur la branche atmosphérique du cycle de l’eau en Antarctique. Autrement dit, comment la neige s’y forme, comment elle tombe, et en quelle quantité.
La combinaison de nos expertises respectives vise à mieux comprendre ce cycle et à utiliser les observations, notamment de télédétection, pour caractériser les processus dominants et leur influence sur la composition isotopique de la neige
Conditions extrêmes
La première étape du projet consistera à effectuer une importante campagne de mesures grâce à une batterie d’instruments installés entre la côte antarctique, au niveau de la base française Dumont d’Orville, et la base franco-italienne Concordia, distante de 1 100 km sur le Haut-plateau de l’inlandsis. Les instruments doivent caractériser, contrôler et enregistrer la physique et la dynamique de la colonne atmosphérique (nuages et précipitations), la composition isotopique de la neige en surface, et les variables de surface (température, humidité, vent, neige soufflée).
« Rien de similaire n’a encore été fait. Il y a beaucoup de défis technologiques, notamment faire fonctionner des instruments de manière complètement autonome pendant des mois dans des conditions extrêmes : sur la côte, il y a énormément de vent, avec des pointes à 200 km/h, et plus on monte vers l’intérieur des terres, plus les températures baissent. » La station Concordia connaît notamment six mois de nuit et les températures peuvent atteindre -80°C en hiver.
Revisiter les carottes glaciaires
Un second volet du projet consistera à revisiter l’interprétation des carottes de glace, sources pour les scientifiques de précieuses informations sur les variations climatiques qui ont eu lieu dans le passé. Les données du projet AWACA, qui doivent être récoltées au fil des saisons et loin des stations habitées, seront complétement inédites. Un aspect important pour mieux comprendre et prévoir le changement climatique. « Si nous arrivons à comprendre, à partir de cette campagne de mesure, comment ces processus s’articulent et s’influencent les uns les autres, nous pourrons reconstituer les climats passés en prenant en compte ces influences négligées jusque-là. Et ainsi améliorer les modèles climatiques pour réduire les incertitudes liées à cette composante du cycle de l’eau dans les projections futures. »
Le volume des océans est fortement influencé par le bilan de masse de la calotte antarctique : si celle-ci perd de la masse par fonte, le niveau des océans augmente, au contraire si elle en gagne par accumulation de neige, le niveau baisse. D’où l’importance d’un tel projet pour réduire les incertitudes sur cette accumulation de la neige, améliorer les connaissances sur les conditions atmosphériques du Pôle sud, et affiner les projections climatiques futures.
European Research Council (ERC), Synergy grant 2020.
Atmospheric WAter Cycle over Antarctica: Past, Present and Future (AWACA). Christophe Genthon, Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS), Alexis Berne, École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Valérie Masson-Delmote, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Thomas Dubos, École Polytechnique (EP).