Le décodage «low-cost» du génome, l'angoisse pour tous?

© Alain Herzog / EPFL

© Alain Herzog / EPFL

Le décryptage complet d’une séquence complète d’ADN humain ne coûtera bientôt pas plus cher qu’un simple test sanguin. Quelles conséquences pour la société? Extraits d'une interview croisée de Denis Duboule, généticien, et Jacques Neirynck, conseiller national.

Denis Duboule, généticien, professeur à l’EPFL et à l’Université de Genève, et Jacques Neirynck, professeur honoraire EPFL et conseiller national, débattent des enjeux, mais aussi des espoirs que suscite le décodage du génome à bon marché. Un débat qui avait fait l’objet du dernier Science! on tourne. Extraits de l’interview à paraître le 28 mars dans Flash.

Le séquençage génétique est bientôt à portée de toutes les bourses. Serait-il utile de le rendre systématique ?

Denis Duboule : La question ne va bientôt même plus se poser: j’estime que dans vingt ans, cela se fera de toute façon, au même titre que l’on procède aujourd’hui à une prise de sang chez les nouveau-nés.

Jacques Neirynck : La Suisse est toutefois en train de rater le coche. Aujourd’hui encore, une prescription médicale est requise pour pratiquer un décodage génétique, ce contre quoi j’ai essayé de me battre au Parlement. En vain.

Quels bienfaits peut-on espérer d’une généralisation de la pratique ?

J. N. Tout comme les vaccins ont pu éradiquer certaines maladies virales, le séquençage est en mesure d’éliminer des maladies génétiques. Notamment par le biais d’un diagnostic préimplantatoire qui pourrait être prescrit dans les situations à risque, quand deux parents sont porteurs de certains gènes par exemple.

D. D. Le séquençage des individus ne commencera à avoir de véritable intérêt que d’ici une dizaine d’années, lorsque de grandes bases de données auront été constituées et que des logiciels seront capables de réaliser des rapprochements pertinents. En revanche, on peut d’ores et déjà tirer de grands bénéfices de l’analyse génétique des tumeurs, par exemple. En apprenant à les connaître finement, on réalise qu’elles sont beaucoup plus complexes que ce qu’on croyait, et on peut bien mieux cibler les traitements.

Comment cela va-t-il bouleverser la société?

D. D. Je pense que les changements seront profonds, en particulier pour la façon dont la population abordera les questions de santé. Au même titre qu’internet a pu favoriser les mouvements du Printemps arabe, la mise en réseau de dizaines de milliers de génomes ouvrira l’ère de la « médecine citoyenne » en permettant aux personnes atteintes de maladies génétiques d’échanger des quantités d’informations avec leurs pairs, de témoigner de leurs expériences avec tel ou tel médicament, de façon beaucoup plus fiable et précise que dans les forums que l’on connaît actuellement. Cela va bouleverser la médecine et redéfinir la posture du médecin. Les relations entre patients prendront l’avantage.

J. N. A titre individuel également, connaître précisément ses prédisposition pour telle ou telle maladie permettra de pratiquer une prévention ciblée, de se livrer à des contrôles plus réguliers et plus spécifiques.

D. D. On peut tout de même se demander si une vie où chacun passe son temps à «se regarder le génome» sera vraiment plus agréable. De nombreux gènes qui seraient restés dormants et dont on n’aurait jamais entendu parler deviendront une source d’anxiété et provoqueront des changements de comportement inutiles.

L’interview complète paraît dans l’édition de Flash du 28 mars (en français uniquement)

Le débat en vidéo et en français


Auteur: Emmanuel Barraud

Source: EPFL