Zoom sur les pièges à électrons

Des électrons piégés ©Angewandte Chemie

Des électrons piégés ©Angewandte Chemie

Grâce à une technique novatrice, des chercheurs de l’EPFL ont montré comment les électrons se meuvent et sont piégés par du dioxyde de titane présent dans les cellules Grätzel, les fenêtres autonettoyantes et les techniques de purification de l’eau.

 Le dioxyde de titane (TiO2) est une matière principalement utilisée dans les cellules solaires photovoltaïques à pigment photosensible, ainsi que dans des applications photocatalytiques, comme le verre autonettoyant. Dans les deux cas, le principe sous-jacent est la création de charges électriques, que ce soit des électrons (négatifs) ou des trous (positifs). Toutefois, le sort ultérieur de ces charges demeurait jusqu’ici un mystère. Or, des chercheurs de l’EPFL ont mis au point une méthode innovante pour définir en exclusivité la nature des pièges à électrons du TiO2, ce qui va permettre d’optimiser son utilisation dans toutes les applications relatives à la lumière. Leur travail est publié dans Angewandte Chemie.

Convertir la lumière en énergie électrique ou chimique est l’un des objectifs majeurs de notre temps, car les conséquences sont immenses pour l’avenir de l’humanité. Les applications possibles sont multiples, des systèmes photovoltaïques tels les cellules solaires à pigment photosensible (DSSC, cellules Grätzel) aux techniques photocatalytiques (purification de l’eau, vitres autonettoyantes). La plupart de ces systèmes sont composés d’une forme cristalline de TiO2 appelée anatase, qui est le plus souvent sensibilisée avec une molécule pigmentée capable d’absorber la lumière qui injecte des électrons dans le substrat de TiO2.

Les électrons jouent un rôle central en photovoltaïque. En photocatalyse, ils réduisent les impuretés attachées à une surface ou aux trous de charges, et les oxydent en leur ajoutant respectivement en leur ôtant des électrons. L’efficacité de ces deux systèmes dépend non seulement du transport de charges dans le TiO2, mais aussi du fait que les électrons soient stoppés au bon endroit. La nature (emplacement, géométrie, etc.) de ces pièges à électrons et leur durée de vie, surtout à température ambiante, restaient jusqu’ici méconnues.

Or, l’équipe de Majed Chergui de l’EPFL a utilisé la spectroscopie d’absorption des rayons X (XAS) à résolution temporelle pour étudier comment les électrons se retrouvent prisonniers à température ambiante des formes anatase (ordonnée) et amorphe (désordonnée) de TiO2. La XAS est une technique puissante qui sert à déterminer la structure électronique des atomes et la géométrie qui les entoure. Dans cette étude novatrice, les chercheurs ont observé des nanoparticules de TiO2 photoexcitées dans des solutions colloïdales, puis leur équivalent avec pigment photosensible. La XAS à résolution temporelle mise au point par le laboratoire de Chergui a permis aux scientifiques de suivre les mouvements des électrons à l’échelle de 100 picosecondes (10-10 sec) et de visualiser la formation de pièges à électrons de type Ti3+ (un atome de Ti de la structure plus un électron de l’enveloppe extérieure).

Leurs résultats montrent que tant pour l’anatase standard que pour son équivalent pigmenté, les électrons restent piégés dans l’enveloppe superficielle riche en défauts du substrat de TiO2 – très profond à l’intérieur de celle-ci pour l’anatase classique et sur sa surface externe pour les nanoparticules pigmentées. Dans le premier cas, les électrons voyagent à travers la structure vers la surface, où ils sont stoppés dès qu’ils croisent des défauts, comme il en existe dans l’enveloppe superficielle. La durée du déplacement d’un électron se situe bien au-dessous de la résolution temporelle de l’expérience (100 ps). Avec les nanoparticules à colorant, les électrons sont tout de suite piégés en surface, où les défauts prédominent.

Quant au TiO2 amorphe classique, les électrons se retrouvent emprisonnés dans les cloisons intérieures (désordonnées et riches en défauts) du substrat, mais sont stoppés à la surface du dioxyde de titane quand celui-ci est enduit d’un pigment, ce qui rappelle la forme anatase. Les scientifiques ont ensuite défini la durée de vie des pièges à électrons dans le TiO2 usuel ou à pigment (qui oscille entre des dixièmes de nanoseconde et quelques nanosecondes).

Cette découverte fondamentale démontre avec quelle facilité la XAS à résolution temporelle permet d’étudier un phénomène jadis inaccessible. En outre, la clarification de la dynamique d’emprisonnement des électrons dans le TiO2 aura des conséquences sur la fabrication des DSSC et des système photocatalytiques, puisque le TiO2 amorphe (non cristallin), bien moins cher, est tout aussi efficace pour piéger les électrons à la surface d’un substrat.

« Si vous avez besoin de charges de surface actives à long terme et de matériaux peu chers pour la photocatalyse, utilisez du TiO2 amorphe à pigment photosensible », précise Chergui. « Par contre, si vous optez pour le transport de charge, vous avez besoin de pièges et il vous faut vous montrer prudent, car l’anatase mésoporeuse contient de nombreux défauts en surface, et c’est le lieu où la plupart des électrons vont se retrouver prisonniers ».

Source
Rittman-Frank MH, Milne CJ, Rittmann J, Reinhard M, Penfold TJ, and Chergui M. Mapping of the photoinduced electron traps in TiO2 by picosecond X-ray absorption spectroscopy. Angewandte Chemie Intern. Ed. DOI:10.1002/anie.201310522