Utiliser la force de la lumière pour étudier une molécule isolée

Détection d'une molécule avec la lumière ©N. Antille/EPFL

Détection d'une molécule avec la lumière ©N. Antille/EPFL

Des scientifiques de l’EPFL ont montré comment une force photoinduite pouvait amplifier la sensibilité et résolution d’une technique d’étude de molécules isolées.

Lorsqu’il s’agit d’observer des molécules isolées, les chercheurs utilisent une méthode très puissante appelée « diffusion Raman exaltée par effet de surface » (SERS). Cet outil très sensible détecte les vibrations au sein des atomes d’une molécule illuminée sous la forme d’un changement de couleur de la lumière. La sensibilité de la SERS reste toutefois limitée à température ambiante, car les molécules vibrent trop faiblement. Or, une étude publiée dans Nature Nanotechnology et réalisée par des scientifiques de l’EPFL annonce que cet obstacle peut désormais être franchi grâce à l’interaction entre la lumière et des objets mécaniques, permettant de créer des « outils d’optomécanique de cavité ». Cette avancée pourra faire l’objet d’applications pratiques significatives, puisqu’elle est capable de développer encore plus avant les capacités de la SERS.

Spectroscopie Raman et vibrations faibles

La SERS s’appuie sur les principes de la spectroscopie Raman, une méthode bien connue employée pour tester les molécules. Lorsque la lumière d’un laser les frappe, celle-ci interagit avec leurs vibrations (p.ex. l’étirement d’un lien entre deux atomes). Résultat, la longueur d’onde de la lumière change et modifie sa couleur. Cette variation devient l’empreinte digitale unique du type de molécule testé.

La spectroscopie Raman est cependant limitée en ce qui concerne les molécules isolées, car celles-ci interagissent très faiblement avec la lumière. Cela s’explique de deux manières: d’abord, une molécule seule est environ mille fois plus petite que la longueur d’onde de la lumière entrante. Développée il y a quarante ans, la SERS a résolu ce problème grâce à un minuscule nuage d’électrons en oscillation dans des nanoparticules métalliques excitées par la lumière d’un laser. Ce nuage appelé « plasmon » est localisable, à quelques nanomètre près, là où les molécules peuvent se trouver.

Autrement dit, les nanoparticules métalliques agissent comme des antennes qui concentrent la lumière jusqu’à une dimension moléculaire, permettant d’améliorer la sensibilité de la SERS de plus de 10 ordres de grandeur. Toutefois, la deuxième faiblesse de la diffusion Raman restait jusqu’ici sans solution: comme les molécules vibrent faiblement à température ambiante, les modes vibratoires pertinents étaient dits « gelés ».

Amplifier les vibrations moléculaires grâce à la lumière

Or, deux membres du laboratoire de Tobias J. Kippenberg à l’EPFL ont désormais trouvé une solution théorique à ce problème en montrant que la SERS pouvait être poussée encore plus loin en matière de sensibilité et résolution. La clé pour dépasser la faiblesse des vibrations réside dans le nuage d’électrons en oscillation, le plasmon précité, susceptible d’exercer une force sur les vibrations de la molécule testée.

Les chercheurs Philippe Roelli et Christophe Galland ont ainsi pu déterminer les conditions exactes nécessaires pour que cette force photoinduite entraîne des vibrations moléculaires à de plus larges amplitudes. Comme la communauté scientifique a émis des principes dans ce domaine, ils ont choisi des longueurs d’onde laser et des propriétés de structures plasmoniques à l’égard de ceux-ci.

Vers un meilleur signal moléculaire

Lorsque la force lumineuse amplifie les vibrations de la molécule, l’interaction entre cette dernière et la lumière laser confinée augmente également. Ceci accroît très fortement le signal capté par la SERS, bien au-delà de ce qui a jamais été réalisé.

« Notre étude propose des lignes directrices pour la conception de nanostructures métalliques et de schémas d’excitation de la SERS plus efficaces » déclare Philippe Roelli. « Elle est capable de repousser les limites de cette technique en termes de sensibilité et de résolution. » Ce faisant, cette découverte ouvre de nouvelles voies de recherche en matière de contrôle des vibrations moléculaires par la lumière, avec des applications potentielles jusqu’en biologie, chimie et technologies quantiques.

Cette étude a été financée par le Conseil Européen de la Recherche, le NCCR d’Ingénierie Quantique (QSIT), le Fonds National Suisse, l’Institut Curie ainsi que le Centre Max Planck-EPFL pour les nanosciences et les technologies moléculaires.

Source

Roelli P, Galland C, Piro N, Kippenberg T J. Molecular cavity optomechanics: a theory of plasmon-enhanced Raman scattering.Nature Nanotechnology 23 November 2015. DOI: 10.1038/nnano.2015.264.