Une technologie pour récupérer le gaz carbonique émis par les camions

A l’heure actuelle, pas de véhicule grandeur nature, mais des installations expérimentales dans le laboratoire sédunois: des écrans, des tuyaux, des câbles, des bonbonnes. © 2020 Le Nouvelliste

A l’heure actuelle, pas de véhicule grandeur nature, mais des installations expérimentales dans le laboratoire sédunois: des écrans, des tuyaux, des câbles, des bonbonnes. © 2020 Le Nouvelliste

Une équipe de l’EPFL Valais Wallis a développé un procédé récupérant le gaz carbonique émis par les gros véhicules.

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«Je vais faire le vide à la station-service.» Cette expression, a priori insensée, devrait devenir réalité dans quelques années pour certains conducteurs de camion. C’est en tout cas la conviction de François Maréchal, professeur d’ingénierie des systèmes énergétiques sur le site de l’EPFL de Sion, et de son équipe de recherche. Cinq personnes, assistées de quelques étudiants, développent une technologie qui permet de capturer le gaz carbonique (CO2) émis par les camions, de le stocker puis de le décharger dans les stations-service, avant de le retransformer en carburant.

A l’heure actuelle, pas de véhicule grandeur nature, mais des installations expérimentales dans le laboratoire sédunois: des écrans, des tuyaux, des câbles, des bonbonnes. Et au milieu de cet ensemble, l’élément central de la technologie qui a été brevetée: une petite fiole remplie d’un peu de poudre bleue. «Il s’agit d’une substance adsorbante, qui capture le CO2», explique le professeur. Adsorbante? «C’est le terme utilisé lorsque l’on a affaire à un milieu solide et non liquide», précise Mehrdad Asgari, ingénieur chimiste et postdoctorant. A ne pas confondre avec «absorbante», lorsque le milieu est liquide.

Capturer le CO2 émis

Reprenons depuis le début du processus. Le camion fait d’abord le plein. En roulant, la combustion du carburant émet notamment du CO2, qui contribue fortement au réchauffement climatique. Le capturer peut constituer une solution écologique. Mais comment? «Grâce à cette poudre adsorbante, placée dans un contenant relié par un tuyau au pot d’échappement», répond François Maréchal. «Ce procédé permet de séparer le CO2 de l’azote et de l’eau, également présents dans les gaz de combustion.» Quant à la composition de la poudre, elle relève du secret industriel. Autre avantage: elle servira aussi de filtre pour les autres polluants.

Plus le camion roule, plus la poudre se sature de CO2. «Grâce à la chaleur du moteur, on chauffe ensuite cette substance, qui relâche alors le gaz carbonique pur», poursuit le chercheur. Problème: le stocker nécessiterait un volume considérable, environ dix fois le véhicule… «C’est avec l’équipe du professeur Jürg Schiffmann, du laboratoire de l’EPFL à Neuchâtel, que nous avons trouvé une solution. En récupérant la chaleur du moteur, nous comprimons le CO2 afin de le liquéfier, si bien qu’il prend beaucoup moins de place», dévoile François Maréchal. Résultat: le volume de stockage nécessaire équivaut à trois réservoirs d’essence.

En circuit presque fermé

Pièce maîtresse de ce procédé, une grosse bonbonne grise d’un peu plus d’un mètre de hauteur, qui trône dans un coin du laboratoire. «Elle peut contenir 50 litres de CO2 liquéfié», indique Mehrdad Asgari. Pour un camion standard, il en faudrait six de cette taille. «Nous avons imaginé un kit qui peut, par exemple, être installé sur la cabine du camion», poursuit François Maréchal.

En le combinant à de l’hydrogène produit avec des énergies renouvelables, il se transforme à nouveau en carburant.
François Maréchal, professeur d’ingénierie des systèmes énergétiques sur le site de l’EPFL de Sion

Une fois ces contenants pleins, le chauffeur va les vider à la station-service, tandis qu’il fait en même temps le plein. Et que devient ce gaz carbonique récupéré? «En le combinant à de l’hydrogène produit avec des énergies renouvelables, il se transforme à nouveau en carburant. On peut ensuite utiliser ce dernier en circuit fermé», éclaire François Maréchal. Résultat: ce CO2 n’est quasiment plus rejeté dans l’atmosphère.

Il faudra cependant encore quelques étapes avant une commercialisation, même si les choses semblent avancer assez vite. «D’ici à la fin de l’année, nous aurons un prototype expérimental grâce à une start-up. Et un camion-test circulera dès juin 2021 en Valais», se réjouit le professeur. Des entreprises de la région seront en effet intégrées à cette phase précédant la production industrielle. «Il faudra trouver des investisseurs et des partenariats. Nous nous y attelons d’ores et déjà», s’enthousiasme François Maréchal.

Un marché mondial

Quant à savoir où seront produits les kits, impossible à dire pour le moment. «Il s’agit d’un marché mondial, avec un potentiel de 300 millions de camions. Quoi qu’il en soit, toute une partie des activités ne pourra être que locale: installation des kits sur les véhicules et développement de la filière de récupération du CO2», imagine le chercheur. «Il sera même possible de recycler la poudre adsorbante.»

Mais qu’apporte cette technologie, par rapport aux camions électriques ou à hydrogène? «Dans le premier cas, il faut environ dix tonnes de batteries pour un véhicule de 40 tonnes. Et le temps de charge est long. Quant à l’hydrogène, même s’il est sur le papier plus efficace, il est plus difficile à stocker, et cela nécessiterait de renouveler intégralement l’industrie des camions», estime François Maréchal. Et pourquoi seulement les camions? «Notre technologie est adaptée aux grands véhicules et aux bateaux. En revanche, il serait difficile d’installer ce type de kit sur des voitures, en raison du manque de place.»