Une lentille de contact pour dépister le glaucome

© 2014 Reto Duriet

© 2014 Reto Duriet

Des chercheurs de l'EPFL ont participé au développement d'une lentille de contact pour la détection précoce du glaucome. Des tests cliniques sont actuellement menés au CHUV.

Résultat d'une pression trop élevée dans l'œil, le glaucome est la deuxième cause de cécité dans le monde après la cataracte. Indolore et invisible, cette maladie sournoise est souvent dépistée trop tard par les médecins, alors que le nerf optique a déjà subi des dommages.

A Neuchâtel, la startup Tissot Medical Research (TMR) a mandaté des chercheurs de l'EPFL et de la Haute Ecole Arc pour le développement d'une lentille de contact à usage unique, capable de mesurer la pression intraoculaire de façon continue, durant 24 heures. De quoi traquer les glaucomes de jour comme de nuit. Une véritable révolution pour les spécialistes.

La plupart des ophtalmologues utilisent en effet une technique appelée tonométrie à aplanation de Goldmann, qui consiste à appuyer une sorte de cône à pointe plate contre la cornée, afin de mesurer la pression intraoculaire. Certes très précise, cette mesure ne peut être effectuée que de manière ponctuelle, à dans un cabinet. Or les pics de pression se produisent souvent la nuit ou au petit matin, en dehors des périodes de consultation. Dans ces conditions, il est difficile de repérer les taux de pression anormaux.

Un clignement, une mesure
Composées de silicone, les lentilles intelligentes de Tissot Medical Research effectuent des mesures à chaque clignement de paupière, et selon le même principe que la méthode traditionnelle. Chaque lentille est pourvue d'une protubérance, qui exerce une pression sur la cornée à chaque fois que le patient ferme l'oeil. Sous cette bosse, dans la lentille, un anneau rigide renferme un capteur capacitif, formé d'électrodes. «Lorsque la paupière se ferme, la bosse exerce une pression sur la cornée, provoquant le rapprochement des électrodes», explique Luc Tissot, fondateur de TMR. La distance entre les électrodes indique donc le taux de la pression intraoculaire. «C'est un peu comme lorsque l'on appuie sur un ballon pour estimer la quantité d'air à l'intérieur», illustre Alexis Boegli, du Laboratoire d'électronique et traitement du signal de l'EPFL (ESPLAB).

Fixées sur les lunettes du patient, de petites antennes captent régulièrement les informations récoltées par la lentille. «La nuit, il pourrait être possible de porter un masque de sommeil, pour plus de confort », précise Alexis Boegli. Les lunettes sont reliées par un fil à un petit boîtier portable, de la taille d'un porte-monnaie. Le patient peut donc vaquer à ses occupations tout en portant le dispositif.

«Après 24 heures, les ophtalmologues branchent leur clé USB sur le boîtier, et analysent les résultats sur ordinateur. Il est tout à fait possible d'envoyer les données directement sur un smartphone, mais les spécialistes tiennent à la confidentialité des informations médicales», explique Pierre-André Farine, directeur du ESPLAB. Les résultats sont quant à eux fournis au millimètre de mercure (mm Hg) près, ce qui permet de déterminer le pic de pression à un moment précis

Améliorer le traitement du glaucome
Non contente de détecter le glaucome, la nouvelle lentille intelligente devrait aussi permettre de mesurer les propriétés biomécaniques de la cornée, et d'adapter le traitement de cette maladie. «Des tests cliniques sont actuellement menés à l'hôpital ophtalmique du CHUV. Il s'agit de jauger le confort du dispositif et de tester le système de mesure», précise le docteur Katia Tissot, directrice médicale de la société.
A noter que la lentille de Tissot Medical Research n'est pas la seule sur le marché. Une autre compagnie suisse, Sensimed, start-up de l'EPFL, a également développé une lentille de contact pour la détection du glaucome, mais en utilisant une technologie différente, qui analyse les changements de circonférence de la cornée.

La lentille de Tissot Medical Research devrait quant-à-elle être commercialisée d'ici fin 2015.

-----

De l'horlogerie au medtech
Fondée en 2010, Tissot Medical Research est la troisième startup de la Fondation Tissot pour la promotion de l'économie, sise au Locle à Neuchâtel.
Dans les années 70, la crise horlogère menace les emplois au sein de l'entreprise Tissot. Luc Tissot, héritier de l'empire familial, utilise alors les compétences microtechniques des horlogers pour fabriquer des composants medtech de haute précision. Les entrepreneurs produisent tout d'abord un pacemaker, puis une valve pour régler la pression du liquide dans le cerveau. Cette dernière invention sera rachetée par le géant américain Johnson &Johnson, qui s'installera dans la région du Locle. Avec ses lentilles intelligentes, Tissot Medical Research est donc la troisième aventure médicale dans laquelle s'est lancé Luc Tissot. Cette startup emploie le même ingénieur, Jean-Jacques Desaules, et le même outilleur, Jean-Marie Delhaye, que lors du lancement de la première startup médicale. Un jeune ingénieur issu de l'horlogerie, Antonino Ristagno, a été engagé pour diriger les activités industrielles. «Nous favorisons la transmission du savoir et voulons bénéficier de l'accumulation des compétences à travers les générations», explique Luc Tissot.

-----


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL