Une échographie améliorée révèle les maladies des ponts

© Trenchfoot Creative Commons

© Trenchfoot Creative Commons

Une nouvelle méthode d’imagerie permet de visualiser les entrailles d’un pont de béton. Comparable à l’échographie, cette technique donne rapidement des images simples à interpréter, afin de faire le bilan de santé de ces coûteux ouvrages d’art.

Les patients pèsent plusieurs tonnes et mesurent parfois plusieurs centaines de mètres de long. Leur corps est fait de béton et consolidé par de longues armatures en acier. Comme les êtres vivants, les ponts routiers ont parfois des problèmes de santé. Des ingénieurs de l’EPFL ont mis au point une technique d’imagerie permettant de diagnostiquer rapidement et facilement la corrosion des armatures, la maladie la plus importante des ouvrages d’art. Cette méthode permettra de réduire considérablement les coûts et les désagréments des travaux.

Mis au point dans le cadre de la thèse de doctorat d’Alexis Kalogeropoulos, le procédé repose sur la technique appelée «Georadar», qui permet d’obtenir une échographie des entrailles du pont. Un traitement informatique des données débouche sur des images précises et simples à interpréter. Le but : déceler même à un stade précoce le phénomène de corrosion des armatures – ni plus ni moins le problème numéro un des structures en béton armé.

Contrairement à ce que l’on pense souvent, le béton est un matériau poreux. Il est parcouru d’un réseau de veines, larges d’à peine un micromètre. «Même les meilleurs bétons souffrent de ce défaut», explique Eugen Brühwiler, responsable de l’étude. L’eau s’infiltre à travers les capillaires. Elle emporte au cœur de la structure du pont une foule de substances, dont des ions chlorures, issus des sels de déglaçage, qui vont peu à peu oxyder l’armature d’acier. «On rencontre le même problème dans les habitations en béton le long de la mer, où l’apport de sel se fait naturellement par les embruns.»

Actuellement, la méthode de diagnostic la plus courante consiste à opérer des carottages dans le tablier du pont. Au maximum une dizaine pour un ouvrage d’une centaine de mètres de longueur. «Cette méthode est trop aléatoire pour prévoir avec précision l’ampleur et la durée des travaux, et ainsi optimiser le travail», explique Eugen Brühwiler.

Depuis une dizaine d’années, la technique appelée Georadar permet d’y voir plus clair. Monté sur une voiture, un dispositif envoie des ondes dans la structure, puis en reçoit l’écho. Analogue à l’échographie, cette méthode permet de tirer une image des entrailles du pont – défauts de construction, poches d’eau, présence de ions chlorure… Seulement, comme dans le domaine médical, il faut des années d’expérience pour lire les résultats. Pour preuve, Eugen Brühwiler montre une de ces images – la tranche d’une dalle de roulement d’un pont, cisaillée en couches irrégulières de divers niveaux de gris. «En Suisse, il n’y a que deux ou trois personnes capables d’interpréter ces données, avec une exactitude de 70% au mieux. Pour ma part, j’en serais totalement incapable…»

Degrés d'humidité et de ions chlorures dans la structure d'un pont, tel que le système de l'EPFL les montre

La nouvelle méthode de traitement et d’analyse des données rend le procédé beaucoup plus précis et accessible. Les images issues de l’échographie sont claires et lisibles. Elles permettent de distinguer du premier coup d’œil les armatures, les poches d’eau, d’éventuels défauts de construction comme des nids de gravier, et surtout la concentration des ions chlorure. «Comme toujours avec ce genre de méthode, on ne détecte pas la corrosion des armatures elle-même, mais des traces indirectes, en l’occurrence les ions chlorure », explique Eugen Brühwiler. Il n’empêche que cette technique, outre de faciliter l’accès aux résultats, a permis sur le terrain un diagnostic précis à plus de 90%. Mené sur un pont routier en Appenzell, ce premier essai concluant devrait bientôt donner lieu à d’autres tests, en Suisse romande cette fois-ci, dans le cadre d’un projet mandaté par l’Office Fédéral des Routes.

«C’est une première mondiale, s’enthousiasme le chercheur. Avec notre méthode, les réfections des ponts seront plus aisées à planifier et les coûts plus faciles à déterminer.» En quelques heures seulement, il est possible de scanner entièrement un pont d’une centaine de mètres de longueur, et de diminuer les perturbations de trafic. Autour de ce travail, se sont réunis l’EPFL, l’ETHZ et l’EMPA. Ils ont pu ainsi conjuguer leurs savoir-faire dans des domaines aussi divers que la durabilité des matériaux, les méthodes de mesures et le traitement des signaux.