Une conférence sur la durabilité rendue plus durable par le Covid

© 2021 EPFL

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La 14e conférence de l’International Sustainability Campus Network (ISCN) a eu lieu en juin 2021 et été suivie depuis une trentaine de pays sur tous les continents. Organisée de manière entièrement virtuelle depuis l’EPFL sur le thème « Accélérer l’action pour le climat et la durabilité dans l’éducation », elle a offert plusieurs leçons pour l’avenir.

Une conférence internationale sans transport aérien, avec des enregistrements pouvant être visionnés bien après la fin du meeting, en un mot plus durable, c’est un rêve qu’auraient pu avoir les organisateurs d’un événement sur l’environnement en milieu académique. C’est devenu réalité du 2 au 4 juin 2021 en raison de la crise sanitaire mondiale. Ce qui était au départ une grosse menace a ainsi été transformé en opportunité.

En effet, le Covid-19 n’a pas épargné l’International Sustainability Campus Network (ISCN), réunissant aujourd’hui 87 universités dans le monde. Sa conférence annuelle, une tradition depuis 2007, n’a pas pu se tenir en 2020, et la question de savoir si elle pourrait avoir lieu en présentiel en 2021 a été retournée dans tous les sens jusqu’à la décision, en fin d’année dernière, de la conduire en format entièrement numérique. Son organisateur, Alfredo Kägi, chargé de projet à l’unité Durabilité de l’EPFL, a dû ensuite aller très vite pour identifier la plateforme qui serait utilisée et monter un programme dans ces conditions inédites.

L’expérience d’ISCN 2021 a prouvé qu’une conférence d’une telle ampleur peut être menée dans un format virtuel avec succès tout en permettant aux participants d’interagir. Elle a également projeté l’EPFL comme une école qui prend la durabilité au sérieux et travaille dur pour l’intégrer aux différents domaines que sont l’éducation, la recherche, l’innovation et les opérations du campus.

Alfredo Kägi, chargé de projet durabilité à l’EPFL et organisateur d’ISCN 2021

Sur les 58 présentations au programme, un grand nombre sont maintenant disponibles sur la chaîne YouTube de la conférence. Cela ne serait jamais arrivé avec un événement en présentiel, puisque les sessions n’auraient pas été filmées. Pour cette édition, toutes les présentations ont été pré-enregistrées, à l’exception de deux keynotes qui se sont déroulés en direct, eux aussi maintenant disponibles sur la chaîne de la conférence. L’interactivité était cependant garantie à la fin de chaque session par un moment sur Zoom réservé aux discussions.

Le moment clé de la conférence a été le panel sur le thème de la transformation nécessaire pour renforcer la durabilité, suivi 366 fois sur la plateforme pendant la conférence. Ce panel dirigé par Julie Newman, directrice de la durabilité au MIT, a réuni ses homologues Alexandra Aguilar Bellamy de l’Université nationale autonome de Mexico, Dave Gorman de l’Université d’Edinbourg, et Davis Bookhart, de l’Université de Science & Technologie de Hong Kong.

Le devoir des universités

Pour la présidente de cette session, rappelant qu’aucun pays ni même aucun continent ne pourra résoudre le réchauffement climatique à lui tout seul, « les universités ont le devoir de donner des moyens d'action à la prochaine génération, car elle héritera du problème et des défis permanents à relever pour le résoudre ».

Les panélistes lui ont entièrement donné raison. « Nous avons besoin d’apprendre des autres universités. Il n’est pas juste question de partager, mais de réfléchir ensemble ! », a souligné Alexandra Aguilar Bellamy. Elle a également appelé les universités à lever des ressources ensemble, pour financer des initiatives qui puissent impacter des régions entières, et invité l’ISCN à se réunir plus souvent, avec plus de diversité pour représenter chaque partie du monde.

Davis Bookhart a regretté que l'enseignement supérieur ne bouge pas aussi vite que le monde : « La façon dont nous enseignons est celle du 20e siècle. Les étudiants d’aujourd’hui apprennent différemment, ils font des allers-retours sur Google. Les tests aussi sont une chose terrible, car ils poussent les étudiants à réviser jusqu'à la dernière minute. » Or les employeurs ont besoin d'étudiants qui sont rapides et capables d'apprendre, et qui devront être bons dans des emplois qui n'ont pas encore été inventés, a-t-il rappelé. Pour cela les notes devraient être moins importantes que la passion d'apprendre, et les publications être jugées à la lumière de leur réel impact sur le monde.

Accepter le coût de la transformation

Selon Dave Gorman, « nous avons la responsabilité de réparer le système. Tout ne peut pas toujours être gagnant-gagnant. Nous devons accepter que la transformation nous coûte quelque chose. »

Cette phrase résonne tout particulièrement à l’EPFL, école d’ingénieur·es dont certains enseignements ou projets de recherche très technologiques ou consommateurs de ressources peuvent se révéler en contradiction avec le respect de l’environnement. Que faire de ces disciplines ? Ou comment faire pour amener davantage de durabilité dans ces disciplines ?

Placer la durabilité au cœur des enseignements était ainsi au centre de la thématique de cette conférence, avec une série de sessions entièrement dédiées aux différents aspects de cette question liée à l’éducation. Plusieurs membres de l’EPFL y ont participé, comme Nicola Banwell, collaboratrice scientifique à l’unité Durabilité, qui intervenait dans deux sessions dédiées. Pour elle, le passage au format en ligne a créé une dynamique intéressante parmi les présentateurs des sessions :

Nous avons interagi beaucoup plus que nous ne l'aurions fait si nous nous étions rencontrés en personne. Parce que nous devions préparer la session, l'enregistrer et en assurer le suivi, nous avons eu beaucoup plus d'échanges et de discussions sur nos projets respectifs, et nous avons appris beaucoup plus des autres présentateurs. J'ai ressenti une forte demande pour que cette interaction continue au sein du réseau, afin de créer des liens plus forts entre les institutions et les membres de l'ISCN.

Dr. Nicola Banwell, collaboratrice scientifique à l’unité Durabilité de l’EPFL

Ses collègues à l’unité Durabilité ont également fait valoir les initiatives de l’école pour amener plus de durabilité sur le campus, par exemple dans la nourriture ou en matière de mobilité.

Moins de transport aérien

Et sur cette question des transports, il y aussi un coût à payer, celui de la liberté. La session sur la réduction de l’impact environnemental des voyages en avion, coordonnée par l’équipe Durabilité de l’EPFL, a été parmi les dix sessions les plus suivies de la conférence. Elle a permis à Luca Fontana, responsable mobilité, de présenter les projets passés, en cours et futurs de l’école, qui en a fait une priorité afin de réduire la part considérable des déplacements professionnels dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’institution. Un pilote dans la faculté des Sciences de la vie a montré que 82% des chercheur·es reconnaissent l’importance de réduire les vols internationaux, mais que les recommandations seules ne suffisent pas pour les voyageurs réguliers. La crise du Covid a aussi permis de tirer certaines leçons : c’est avec un mélange d’encouragements et de restrictions que l’objectif de réduire de 50% l’empreinte carbone des voyages en avion sera graduellement atteint d’ici 2030.

A l’heure du bilan

Pour certains participants, suivre la conférence à distance a aussi représenté un certain coût, celui du sommeil ou de l’attention. Avec le décalage horaire, les participants du Canada ou d’Amérique latine ont dû se lever tôt alors que ceux d’Asie ou d’Australie se couchaient tard. Mais cela était compensé par le fait de pouvoir (re)visionner les sessions plus tard. « Je perçois un risque de ne pas mettre la priorité sur la participation à la conférence en ligne quand on est assis devant son écran et que d’autres tâches se présentent », a également relevé un participant dans l’enquête de satisfaction. Cette dernière a indiqué que 93% des répondants recommanderaient la conférence, plusieurs personnes félicitant l’excellente organisation et la gestion technique, tout en regrettant parfois le déficit en termes de convivialité.

Pour la prochaine conférence, qui doit avoir lieu l’an prochain à Mexico, Alfredo Kägi se demande s’il serait logique de revenir au tout présentiel ou si une certaine forme de numérisation ne va pas devenir la norme. Si l’on s’en tient uniquement aux bilans financier et carbone, le calcul est selon lui vite fait : « La conférence en mode virtuel a coûté quatre fois moins cher que le budget initial. Et vous imaginez les émissions de GES si tout le monde était venu à Lausanne ? »