Un poumon artificiel pour comprendre la cause des caillots sanguins

© 2020 iStock

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A l’EPFL, des scientifiques misent sur la technologie pour comprendre pourquoi le coronavirus entraîne parfois la formation de caillots. Grâce à leur modèle de poumons simplifié, ils observent pour la première fois l’attaque du virus contre l’enveloppe des vaisseaux sanguins.

Le covid-19 entraîne parfois la formation de caillots. On ignore l’occurrence de cette complication — une étude récente suggère qu’environ 10 % des patients hospitalisés pourraient être affectés. On ne sait pas non plus pourquoi le virus provoque cette réaction, à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux dans les cas les plus graves. Pour comprendre le phénomène, des scientifiques de l’EPFL ont adapté un modèle de poumon artificiel: une puce microfluidique qui reproduit la structure d’une partie de l’organe. Elle peut héberger divers types de cellules pulmonaires, vasculaires ou immunitaires. Avec ce dispositif, les chercheurs peuvent suivre en direct l’assaut de SARS-CoV-2 et commencent à mieux comprendre comment le virus peut causer des caillots.

Deux mécanismes sont suspectés de jouer un rôle important. En premier lieu, les cytokines. Le coronavirus provoque parfois un excès de ces protéines, qui servent de signaux au système immunitaire. Ce sont les désormais fameuses « tempêtes de cytokines », dont on a souvent entendu parler pendant la pandémie. Ces réactions immunes disproportionnées, potentiellement mortelles, sont susceptibles d’endommager les vaisseaux et de former des caillots.

On pense également que le virus pourrait détruire directement l’endothélium – c’est à dire la couche interne des vaisseaux sanguins, qui abondent dans les poumons. S’il est endommagé, ce tissu laisse le sang coaguler et entraîne la formation de caillots.

Cytokines ou destruction de l’endothélium? Pour débrouiller ces hypothèses, il faudrait observer la progression du virus dans les poumons, heure par heure. Chez les patients vivants, c’est pratiquement impossible. Quant aux cultures de laboratoire, elles se prêtent mal à l’exercice: souvent limitées à un seul type de cellule, elles ne reproduisent pas la structure du poumon avec suffisamment de réalisme.

Les scientifiques du laboratoire de John McKinney ont reçu le soutien de la Task Force EPFL COVID-19. Menés par le Dr Vivek Thacker, post-doctorant au laboratoire, ils ont adapté un dispositif dit lung on chip soit « poumon sur puce » pour disséquer l’attaque de SARS-CoV-2 sur les poumons. Ces petits compartiments sont alimentés en nutriments par des canaux microfluidiques. Ils contiennent en miniature la structure d’une partie du poumon: une couche de cellules épithéliales – l’enveloppe externe de l’organe – qu’une membrane sépare des cellules endothéliales, qui recouvrent les vaisseaux sanguins.

Les chercheurs inoculent le SARS-CoV-2 dans leur dispositif. Comme lors d’une infection naturelle, le virus s’attaque tout d’abord à la couche extérieure – l’épithélium. En collaboration avec le Dr Jessica Sordet Dessimoz et son équipe du Histology Core Facility, ils ont découvert qu'en moins d’une journée, le virus parvient à l’endothélium qu’il endommage sérieusement.

Les dégâts sont suffisants pour déchirer l’endothélium, exposer le sang des vaisseaux et provoquer la formation de caillots, explique Vivek Thacker. « Grâce à notre lung on a chip, nous avons pu montrer que le virus peut causer des caillots en s’attaquant directement à l’endothélium. Mais cela n’exclut pas un rôle des cytokines, qui pourraient aggraver la situation. » Ces premières observations font l’objet d’une étude actuellement en révision.

Le dispositif microfluidique de l’EPFL a permis de constater un phénomène qui n’avait pas été observé dans les approches traditionnelles, parce que le virus SARS-CoV-2 ne prolifère pas très bien dans les monocultures de cellules endothéliales, selon Vivek Thacker. « On trouve également quelques particules virales dans les endothéliums des personnes infectées, mais les quantités sont faibles.»

Pour la prochaine étape de leur travaux, les scientifiques veulent utiliser du vrai sang dans le lung on a chip, afin de constater directement la formation des caillots. Le défi n’est pas anodin: le sang coagule rapidement en dehors du corps – « il faudra être rapide et précis » explique Vivek Thacker. Les scientifiques utiliseront un anticoagulant, et le neutraliseront chimiquement juste avant l’injection dans la puce. Une procédure complexe, que l’équipe compte mettre en place d’ici à quelques semaines.