Un pont vers la mécanique quantique

                ©  Wolfgang Noichl

© Wolfgang Noichl

Des chercheurs de l'Université de Genève (UniGe) et de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) proposent un schéma pour sonder des états non classiques de systèmes macroscopiques.

La théorie quantique est actuellement notre meilleure description du comportement de la lumière et de la matière à l'échelle atomique. Pour la lumière, cela signifie qu'un faisceau ne peut être atténué jusqu’à un niveau d’intensité arbitrairement faible: à de très basses intensités la lumière se propage par des quantités discrètes et indivisibles appelées photons.
Une question se pose alors: pourquoi le monde macroscopique que nous percevons obéit-il aux lois classiques ?
Si on applique les lois et phénomènes de la mécanique quantique au monde macroscopique, nous arrivons à des paradoxes, tel, par exemple, l’état mort et vivant à la fois du chat de Schrödinger, que nous ne rencontrons jamais dans notre expérience commune.
A quel point se fait la transition entre les lois et les effets du monde quantique des atomes et les lois du monde macroscopique composé d’atomes, tel que le chat? Est-il possible de préparer un système macroscopique dans des états non classiques ?
Des chercheurs du « Laboratoire de photonique et mesures quantiques » (LPQM1- EPFL) et de l’UniGe décrivent un tel système dans un article à paraître dans le numéro du 11 avril de la revue « Physical Review Letters ». L’expérience proposée s’effectue dans une cavité optomécanique, domaine dont l’étude connait actuellement un développement rapide: il s’agit d’un oscillateur mécanique couplé au champ lumineux dans une cavité optique très réfléchissante.

L’expérience actuellement à l’étude dans le laboratoire du prof. Tobias Kippenberg est schématisée dans la figure ci-dessus. On y voit une poutre en silicium percée de plusieurs trous dont la propriété est de piéger la lumière et confiner les vibrations dans la région centrale, comme le montre la simulation numérique présentée dans l’image encadrée (dans la partie supérieure pour la lumière et inférieure pour les vibrations).
La structure se comporte comme un tambour microscopique qui vibre grâce à la lumière et dont les vibrations sont détectées par la lumière.
Sous certaines conditions, précisées dans l’article, l’intensité des vibrations de la poutre varie de façon discrète, il s’agit alors d’un système quasi-macroscopique régi par les lois de la mécanique quantique.
Christophe Galland, un des auteurs commente: “Nous avons montré qu’il est possible de construire un oscillateur mécanique qui est excité à des vibrations d’intensité discrète, même pour un couplage faible lumière-poutre, contrairement aux schémas précédemment proposés qui demandaient un couplage fort, qu’il n’est malheureusement pas possible d’obtenir actuellement ».
Techniquement cela est obtenu en excitant les vibrations de la poutre avec un laser et en détectant le transfert d’énergie entre le photon (lumière) et le phonon (vibration) dans les deux sens, et en vérifiant qu’un phonon seulement a bien été échangé.

Cette expérience permet de vérifier la théorie quantique en dehors des systèmes qui ont amené à sa découverte, mais au-delà de l’intérêt pour la recherche fondamentale, ce dispositif présente aussi un intérêt technologique car il permet de stocker l’état quantique d’un photon et de le restituer « à la demande », ces deux caractéristiques étant essentielles pour un « répéteur quantique ».
Nicolas Sangouard, coauteur du travail a montré par le passé que des répéteurs quantiques peuvent être utilisés pour étendre les distances auxquelles on peut transmettre une clef cryptographique quantique et donc une information sécurisée. La Suisse est à l’avant-garde dans l’étude des systèmes de cryptographie quantique. Une entreprise a même été créée par un des co-auteurs, M. le prof. Nicolas Gisin pour la commercialisation de tels systèmes.
Les résultats de ce travail montrent encore une fois à quel point la recherche fondamentale et appliquée sont étroitement liées, voire … intriquées.


Référence
Christophe Galland, Nicolas Sangouard, Nicolas Piro, Nicolas Gisin, Tobias J. Kippenberg; Phys. Rev. Lett.. Vol. 112, 143602 (2014).