Un nouveau modèle de croissance pour la tuberculose

© 2020 EPFL

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On en sait plus sur la croissance des mycobactéries. Le mécanisme pourrait expliquer certaines résistances aux antibiotiques dans cette famille de microorganismes, qui compte dans ses rangs le bacille de la tuberculose.

Dans le champ circulaire d’un microscope, des cellules rondes ou allongées se multiplient à l’infini: c’est ainsi que l’on se représente les bactéries depuis les premières observations, il y a plusieurs siècles déjà. Pour autant, leur division n’en réserve pas moins son lot de mystères, en partie car la technologie pour les clarifier nous fait défaut. Des ingénieurs, biologistes et physiciens de l’EPFL ont utilisé des microscopes de dernière génération pour découvrir de nouveaux aspects de la croissance des mycobactéries–une famille qui comprend notamment le bacille de la tuberculose. Décrit dans Nature Communications, le processus pourrait être impliqué dans certains mécanismes de défense des microbes, par exemple contre les antibiotiques.

Controverse sur la croissance bactérienne

Une mycobactérie se présente sous la forme d’un bâtonnet, en général long de quelques millionièmes de mètres. Pour se multiplier, elle s’allonge puis se divise en son centre. Les deux microbes nouvellement générés présentent chacun deux extrémités: la première appartenait à la bactérie originelle–l’ancien pôle–et la seconde a été créée lors de la division–le nouveau pôle. La croissance des bactéries a des conséquences sur leur sensibilité aux antibiotiques.

Avant les travaux menés à l’EPFL, deux hypothèses permettaient de se représenter la croissance des mycobactéries. Selon les modèles unipolaires, la bactérie s’étire uniquement du côté de l’ancien pôle–celui qui est issu de la bactérie-mère. Au contraire, les modèles bipolaires stipulent que les deux pôles croissent au même rythme, jusqu’à ce que la bactérie soit suffisamment allongée pour lancer la division.

Des physiciens et des ingénieurs menés par le professeur Georg Fantner se sont associés au laboratoire du professeur John McKinney pour résoudre cette controverse.

Combiner deux techniques d'imagerie

«La raison pour laquelle ces deux modèles concurrents existaient était que les expériences précédentes n'avaient pas la résolution spatio-temporelle pour arriver à une réponse définitive», explique le professeur Georg Fantner. Pour observer le processus de croissance avec une résolution suffisamment élevée, l'équipe a utilisé deux méthodes d'imagerie time-lapse: la microscopie à force atomique et la microscopie optique.

«Avec les microscopes optiques, nous pouvons regarder à l'intérieur de la cellule, mais nous ne voyons pas beaucoup de détails», explique Mélanie Hannebelle, l'auteur principal de l'article. «D'un autre côté, les microscopes à force atomique offrent une résolution nanométrique, mais ne peuvent pas voir à l'intérieur de la cellule. Nous avons dû combiner les deux techniques pour obtenir les informations dont nous avions besoin.»

Une croissance en deux temps

Les équipes interdisciplinaires de l’EPFL ont pu montrer que la vérité se trouve quelque part entre les deux conjectures. Quand le bacille commence à s’étirer, l’ancien pôle croît beaucoup plus rapidement que le nouveau; mais peu avant la division, les deux extrémités finissent par pousser au même rythme. Ces deux stades donnent son nom au nouveau modèle, dit “biphasique”.

La division biphasique semble présenter des avantages en termes de survie. Des scientifiques américains ont récemment montré qu’en forçant une croissance plus symétrique chez les mycobactéries, on réduisait leur résistance à un antibiotique. «On ne dispose pas encore d’explication, on ne fait que constater les rapports entre la manière dont croît la bactérie et sa résistance, et notre but est précisément d’en savoir plus», explique John McKinney. La question est sans doute plus pressante qu’on ne l’imagine: la plus célèbre des mycobactéries est également le pathogène infectieux le plus mortel au niveau mondial. M. tuberculosis tue plus de 1.5 millions de personnes chaque année, et les souches multirésistantes aux antibiotiques sont en augmentation.

Références

A biphasic growth model for cell pole elongation in mycobacteria. Mélanie T. M. Hannebelle, Joëlle X. Y. Ven, Chiara Toniolo, Haig A. Eskandarian, Gaëlle Vuaridel-Thurre, John D. McKinney & Georg E. Fantner. Nature Communications volume 11, Article number: 452 (2020)