Un film qui explore la danse comme langage scientifique

© Jacques Lévy, Gare du Monde, 2025
Le film Gare du Monde emmène les specteurs·trices dans la Gare du Nord à Paris pour montrer comment le cinéma, la musique et la danse peuvent être des catalyseurs pour l'invention scientifique. Il sera projeté le 7 octobre dans le cadre du festival semestriel Les Culturelles organisé par le Collège des humanités (CDH) de l'EPFL.
Le film a été réalisé par Jacques Lévy, professeur honoraire de géographie et d'urbanisme à l'EPFL, qui fait partie du réseau de recherche Chôros. À travers le prisme de la gare du Nord, le plus grand nœud ferroviaire d'Europe, Gare du Monde utilise la danse pour déterminer si la gare peut être apprivoisée par les voyageurs, les travailleurs et les passants qui la font vivre.
D'où vient l'idée de ce film ?
L'idée de Gare du Monde m'est venue peu après avoir réalisé un film à l'EPFL en 2012-2013 intitulé Urbanité/s. C'était dans la logique filmique, mais je trouve qu’un bon film doit éviter la voix off qui fait comme s’il y avait un personnage qui sait tout. Je trouve que ce n'est pas l'esprit de la recherche, de faire penser au public que nous savons déjà tout. Et donc je me suis dit si je refais un film, il n'y aura pas de voix off. Ça veut dire que les spectateurs et spectatrices n'aura pas besoin d'un commentaire oral pour comprendre de quoi il s'agit.
J’avais besoin d’expérimenter un nouveau langage qui n'est pas du tout utilisé habituellement dans le travail scientifique : le langage de la danse contemporaine. Classiquement, dans la recherche on utilise le langage écrit, le langage oral, parfois les équations, en mathématiques, par exemple. Ou alors, un peu la photographie, le cinéma à la marge. La musique et la danse, très peu. Je me suis dit : « Je vais raconter une histoire de chercheurs qui explorent un espace. Et ces chercheurs et chercheuses seront interprétés par des danseurs et danseuses. »
Pourquoi avez-vous choisi la Gare du Nord comme lieu de tournage du film ?
Après avoir envisagé de tourner dans le Delta de la Rivière des Perles en Chine, probablement la plus grande agglomération au monde, j'ai décidé de m’immerger dans un lieu plus familier, la gare du Nord à Paris, un microcosme particulièrement dense qui résume à sa manière toute la diversité du monde contemporain.
Le Gare du Nord est aussi un lieu de très grande diversité sociale parce qu'il est pratiqué à la fois par les gens qui prennent l'Eurostar pour Londres, dont certains sont très chics, très riches parce que c'est le moyen le plus rapide d'aller à Londres, et, juste à côté, par des personnes qui prennent le RER pour aller dans la banlieue nord de Paris, la banlieue la plus pauvre. À cette époque, j'avais quitté l'EPFL et je vivais à nouveau à Paris, donc la gare était à deux pas de chez moi.
Dans la scène finale, la foule dans la gare se joint à vos chercheurs pour danser. Était-ce réel ? Ou s'agissait-il également de danseurs engagés pour l'occasion ?
La recherche ne s'arrête pas à la production de concepts et de théories, mais elle continue par la diffusion dans la société. Cela fait également partie du travail du chercheur. Nous avons donc décidé d'introduire une séquence finale dans laquelle le chercheur et les chercheuses ont terminé leur travail et tentent d'expliquer leurs découvertes au public présent dans la gare.
L'histoire de cette scène est que les chercheurs tentent de transmettre leurs idées, mais ça ne marche pas. Alors il y a un petit miracle : dans le hall de la Gare du Nord, se trouve des gens qui vont se révéler être des médiateurs, c'est à dire des individus qui peuvent à la fois comprendre le langage des chercheurs et le langage du grand public. Ces médiateurs et médiatrices des sciences sociales sont par exemple les journalistes, les enseignants, et divers dispositifs d'interface entre la recherche et le grand public.
On a bénéficié du concours d'une vingtaine de danseurs et danseuses amateurs dont le professeur était aussi le chorégraphe. On n'était pas sûr que ça allait marcher parce qu'effectivement c’étaient gens ordinaires qui étaient là. C'était un dimanche après-midi, le jour le plus froid de l'année. Nous n'avions pas le droit à l'erreur parce que nous avions toute une machinerie, les gens et un calendrier strict. Donc si ça ne marchait pas ce jour-là, ça reportait le tournage d'un an. Mais ça s'est quand même bien passé et on a eu une participation tout à fait significative de personnes qu'on ne connaissait pas. Il y en a eu notamment un jeune homme qui était tellement impliqué qu’il s'est immédiatement intégré dans l'équipe des danseurs et danseuses professionnels !
Vous allez projeter ce film à l'EPFL dans le cadre des Culturelles. Pourquoi pensez-vous qu'il est important de montrer un tel film dans une école comme l'EPFL ?
J’ai commencé à être réalisateur à l’EPFL, et ça me touche beaucoup que l'EPFL s'intéresse à ce film. Lorsque j'étais à l'EPFL, j'ai donné un cours sur les villes et demandé aux étudiantes et étudiants de réaliser des films. J'ai été très impressionné par le fait que, même s’ils n'avaient jamais suivi de cours de cinéma, ils étaient très compétents et ont très vite appris à monter des films.
Je pense qu’à l'EPFL, en particulier à l'ENAC, il y a cette culture de l'audiovisuel qui est particulièrement forte, et qui aussi s'est répandue dans la jeunesse. La compétence en matière d'images animées a énormément progressé. Tout le monde fait des vidéos et les envoie sur les réseaux sociaux. Et donc c'est aussi une invitation à la fois aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants à s'emparer des langages cinématographiques pour exprimer leurs idées scientifiques. C'est à leur portée.