Un étudiant de l'EPFL résout une énigme physique vieille de 100 ans

John Kolinski et Wassim Dhaouadi© 2019 EPFL

John Kolinski et Wassim Dhaouadi© 2019 EPFL

A l’EPFL, un étudiant de niveau Bachelor a résolu un mystère de physique vieux de 100 ans. Sa recherche dévoile les mécanismes à l’œuvre lorsqu’une bulle de gaz reste collée aux parois d’un tube vertical étroit. Le chercheur a pu mesurer expérimentalement la présence d’un film de liquide ultra-fin entre la bulle et le bord du tube. L’étude montre par ailleurs que la bulle n’est pas coincée, mais qu’elle évolue de manière extraordinairement lente.

Il est courant d’observer, dans un verre d’eau, les bulles d’air se diriger naturellement vers la surface du liquide. Ce phénomène est facile à expliquer avec les lois de la physique classique. Cependant, ces mêmes lois n’expliquent pas pourquoi une bulle placée dans un tube étroit de quelques millimètres de diamètre ne parvient plus à monter, mais reste coincée et immobile.

Ce phénomène étrange, mis en évidence il y a près d’un siècle, est demeuré jusqu’ici obscur pour les physiciens. En principe, cette bulle ne devrait pas rencontrer de résistance, et continuer son ascension, à moins que le fluide soit en mouvement.

Il y a près de 60 ans, le scientifique Francis Bretherton a tenté d’explique ce phénomène en s’attachant à la forme de la bulle. D’autres théoriciens ont avancé que la raison pour laquelle la bulle ne montait était la présence d’un film de liquide ultra-fin, présent entre la bulle et le tube. Or aucune de ces théories n’expliquait les mécanismes en jeu de façon complète.


Une bulle a priori coincée dans un tube / credit: EPFL

A l’EPFL, Wassim Dhaouadi, étudiant en Bachelor au sein du Laboratoire de mécanique des interfaces souples EMSI, dirigé par John Kolinski à la faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur, a pu pour la première fois observer la couche ultra-fine située entre la bulle et la paroi du tube, la mesurer, et décrire ses propriétés. Son étude a démontré que les bulles n’étaient en réalité pas coincées dans le tube, comme on le pensait jusqu’ici, mais qu’elles se déplaçaient à une vitesse extraordinairement lente. C’est la première fois que des chercheurs apportent une preuve expérimentale qui permet de tester les théories précédentes. Cette découverte est publiée dans Physical Review Fluids.

Pour observer cette couche épaisse de quelques dizaines de nanomètres (millionième de millimètres), Wassim Dhaouadi et John Kolinski ont recouru à une méthode d’interférométrie, appliquée à une bulle d’air « coincée » dans un tube. Il s’agit d’envoyer de la lumière sur la bulle dans le tube, et d’analyser l’intensité de la lumière réfléchie. En utilisant l’interférence entre la lumière réfléchie depuis la surface intérieure du tube, et celle réfléchie à la surface de la bulle, il a été possible d’obtenir une mesure très précise de la couche située entre la bulle et la surface du tube.

L’étude a ensuite montré que cette couche pouvait se déformer si la bulle était excitée thermiquement, mais qu’elle revenait toujours à sa forme initiale une fois la stimulation passée. «Cette découverte permet de réfuter les récentes théories qui suggéraient que le film ultra-fin disparaissait jusqu’à une épaisseur nulle. Notre étude montre qu’il n’en est rien», commente John Kolinski.

Les nouvelles mesures ont également permis d’établir que la bulle ne restait pas immobile dans le tube, mais qu’elle se déplaçait de façon extraordinairement lente. Un mouvement impossible à voir à l’œil nu. « L’épaisseur de la couche entre la bulle et le tube est si incroyablement fine, qu’une résistance importante au flux apparaît. C’est ce qui ralentit drastiquement la progression de la bulle.»

Bien que fondamentale, la recherche pourrait se révéler intéressante pour étudier les phénomènes des fluides à l’échelle nanométrique, dans des systèmes biologiques, notamment.


John Kolinski et Wassim Dhaouadi

Un joli succès pour Wassim Dhaouadi, qui avait rejoint le laboratoire en tant qu’assistant de recherche durant l’été, puis continué sa recherche sur une base purement volontaire. «Il a principalement participé à cette recherche par intérêt, et cela a débouché sur une publication qui résout un puzzle vieux d’un siècle», se réjouit John Kolinski.

«C’était une chance de pouvoir mener un projet de recherche si tôt dans mon curriculum», raconte Wassim Dhaouadi, qui réalise actuellement un master à l’ETH Zürich. «J’ai découvert une nouvelle façon de penser et d’apprendre. Au départ, nous ne savions même pas s’il y aurait une solution à ce problème, a l’inverse des devoirs d’étudiants habituels.»

«Wassim Dhaouadi a effectué un travail remarquable. Nous sommes très heureux d’avoir pu l’accueillir dans notre laboratoire », conclut John Kolinski. 

Références

Dhaouadi, Wassim and Kolinski, John M., Bretherton's Buoyant Bubble, Physical Review Fluids, 2019, DOI: 10.1103/PhysRevFluids.4.123601