Un acide aminé de synthèse pour une nouvelle classe de médicaments

©2014 Alain Herzog/EPFL

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Des chercheurs de l’EPFL ont développé un acide aminé novateur capable de modifier la structure 3D des peptides thérapeutiques. L’insertion de cet acide aminé dans les peptides bioactifs multiplie jusqu’à 40 fois leur capacité à se lier aux molécules cibles. Une toute nouvelle classe de médicaments pourrait naître de cette découverte.

L’un des défis majeurs de la médecine moderne consiste à créer des traitements efficaces contre une cible donnée, mais dont la toxicité et les effets secondaires sont aussi limités que possible. De telles compétences dépendent notamment de la structure tridimensionnelle de la molécule médicamenteuse. Idéalement, cette forme devrait être parfaitement complémentaire à la cible qui cause le mal, afin de s’y lier avec une spécificité élevée. Un article de Nature Chemistry annonce que des scientifiques de l’EPFL ont développé un acide aminé de synthèse qui peut influencer la structure 3D des peptides bioactifs et augmenter leur effet.

Des peptides et protéines comme médicaments

De nombreux traitements utilisés aujourd’hui se composent essentiellement de peptides naturels et de protéines, tous faits d’acides aminés déjà présents dans l’ensemble des organismes vivants. Malgré l’importante variété de peptides et de protéines, il n’existe que vingt acides aminés naturels, ayant chacun une structure et des propriétés chimiques différentes. En s’alignant pour former une séquence, les acides aminés créent des peptides et des protéines aux structures 3D diverses et, par conséquent, aux fonctions biologiques divergentes.

Jusqu’à il y a peu, la grande majorité des médicaments composés d’acides aminés existait déjà dans la nature (des hormones comme l’insuline, des antibiotiques tels que la vancomycine, des immunosuppresseurs de type cyclosporine, etc.). Le nombre croissant des maladies oblige désormais à innover et à créer des traitements plus efficaces: les bactéries deviennent par exemple de plus en plus résistantes et nécessitent de nouveaux antibiotiques. Une des réponses à ce problème s’appelle l’évolution dirigée, un champ novateur qui imite la sélection naturelle en laboratoire pour mettre au point de nouveaux peptides et protéines.

À nouveaux peptides, acide aminé dernier cri

L’équipe de Christian Heinis, de l’EPFL, vient de développer un acide aminé de synthèse dont la structure peut accroître considérablement l’efficacité des peptides et des protéines thérapeutiques. Celui-ci présente une structure très similaire à un acide aminé naturel appelé cystéine, qui constitue elle-même une exception parmi les vingt acides aminés naturels. Elle contient en effet des atomes de soufre lui permettant de former un pont avec une autre cystéine et donc d’influer sur la structure 3D globale – et sur la fonction – d’un peptide ou d’une protéine.

Les chercheurs de l’EPFL ont d’abord généré cinq acides aminés ressemblant à la cystéine, avec une modification cruciale: chacun pouvait former deux ponts au lieu d’un. Pour ce faire, l’équipe a remplacé l’unique groupe « soufre » de la cystéine par une branche en contenant deux. Après avoir synthétisé ces cinq nouveaux acides aminés, les scientifiques les ont intégrés à la structure de deux peptides bioactifs, l’un qui inhibe un enzyme impliqué dans le cancer, l’autre susceptible de bloquer l’un des récepteurs présents dans les neurones.

En testant une poignée seulement de peptides cycliques avec leur acide aminé de synthèse, l’équipe de Christian Heinis a pu identifier différents peptides qui présentaient une activité accrue. Le meilleur inhibiteur d’un récepteur neuronal a ainsi été 8 fois plus efficace qu’habituellement et le meilleur inhibiteur de protéase 40 fois.

« Un résultat inattendu, » avoue Christian Heinis. « Habituellement, mettre le nez dans une molécule naturelle empire les choses. Ici, c’est l’inverse qui s’est produit, ce qui est vraiment palpitant. »

Une classe émergente de peptides bicycliques

Les scientifiques se sont principalement intéressés aux médicaments en raison de leur expérience en matière de développement de peptides bicycliques, c’est-à-dire dont la structure est composée de deux anneaux. Ceux-ci font partie d’une classe novatrice de peptides thérapeutiques, qui peuvent être utilisés sur des maladies que les petites molécules conventionnelles ou les larges anticorps ne sont pas capables d’atteindre. L’équipe de Christian Heinis a ainsi généré des peptides bicycliques actifs contre de nombreuses affections au moyen de l’évolution dirigée. « Notre travail préalable nous a appris qu’une grande diversité structurelle au sein des bibliothèques de peptides était cruciale pour des liaisons efficaces. Or, avec ce nouvel acide aminé, il devient possible de produire des structures de peptides très diversifiées. »

Christian Heinis souhaite désormais utiliser ce nouvel acide aminé de synthèse dans des expériences d’évolution dirigée. Sa structure et sa capacité à créer efficacement des peptides cycliques en fait un candidat sérieux pour l’élaboration de peptides polycycliques efficaces et novateurs destinés à des traitements ciblés.

Ce travail a été financé par le Fonds National Suisse De La Rechereche Scientifique.

Source

Chen S. Gopalakrishnan R, Schaer T, Marger F, Hovius R, Bertrand D, Pojer F, Heinis C. Di-thiol amino acids can structurally shape and enhance the ligand-binding properties of polypeptides. Nature Chemistry 31 August 2014. DOI: 10.1038/nchem.2043